Gabon: «La donne Fang», une illusion persistante

Les Fangs ne sont pas non moins victime de la marionnettisation des communautés instaurée par le régime de Libreville depuis des décennies ©DR

Libreville le 17 octobre 2022 – ( Dépêches 241 ). «La donne fang ! »,  c’est le titre à la une qu’a choisi la semaine dernière, un des journaux écrits les plus côtés de notre pays, qui s’attachait là à analyser le réel poids politique de cette communauté sociolinguistique sur l’échiquier politique national. Mais, tâchons d’être lucide, et disons qu’en soi, pareille analyse est un éblouissement. Elle vaut pour l’émotion qu’elle peut et a peut-être suscité chez certains de nos compatriotes.

Reprenons le titre : «La donne fang !». Il indique tout d’abord, et cela d’une façon assez claire, que le jeu politique dans notre pays se fait encore aujourd’hui à partir du logiciel géopolitique conçu par le feu président Omar Bongo. Celui consistant à jouer sur la corde sensible de l’ethnicité pour tirer le meilleur de chaque groupe. Les fang principalement, sans doute pour ce qu’ils ont longtemps été considérés comme étant les plus nombreux, et par conséquent, capables de faire basculer les équilibres du pouvoir. Mais cela est bien une supercherie qui n’a en dernier ressort servi que les intérêts d’un seul, le président lui-même qui s’est fait une assise politique intérieure par la marionnettisation des communautés, principalement de la communauté fang. Certes, personne ne peut nier leur propre désir de jouer à ce jeu en se montrant parfois hyper zélés comme ont pu être en leur temps Léon Mebiame et Richard Nguema, seulement ils furent tous victime d’une illusion persistante. 

Cette illusion persistante, qui est visiblement entretenue par les fang eux-mêmes, au grand bénéfice des tenants du pouvoir, consiste en un fait relativement simple : se penser et définir leur rapport à partir de stéréotypes hérités des logiques coloniales. En effet, même si cela n’est pas ouvertement exprimé, l’idée que l’homme fang est au Gabon le plus intelligent, le plus audacieux, pour ne pas dire le plus brave gouverne encore l’imaginaire de la majorité des ressortissants de cette communauté. 

Ils se pensent en cela plus légitimes, encore plus parce qu’ils sont persuadés d’être le plus nombreux. Cet éblouissement à notre sens les aveugle. Il empêche même plus globalement de regarder l’espace politique avec lucidité. Il brouille toute volonté de regarder autrement les dynamiques de pouvoir. Alors que les fang se sentent comme ontologiquement légitimes d’un côté, les autres communautés de l’autre côté ne voient en eux que des barbares-hypocrites assoiffés de pouvoir. Les mots attribués à Michel Ogandaga, ancien conseiller du président actuel le résument bien : « tuez-les tous ! »

Disons-le nous en vérité : les Fang ne valent pas plus que les autres. Et s’obstiner à vouloir penser ou insinuer le contraire n’est pas juste. Ils valent le prix de leur capacité à jouer à un jeu qui maintient les tenants du pouvoir en place. Car, le cœur même du pouvoir, et les décisions qui le font fonctionner leur échappent. Pour cela, «La donne fang !» n’est d’aucun poids considérable pour le régime en place. Encore qu’il ne tient pas absolument sa force de l’intérieur. Ses racines prennent source bien loin d’ici, et nos guéguerres interethniques ne peuvent que le servir.

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