La violence en milieu scolaire (VMS) au Gabon: un reflet ambiant de notre société?

le Gabon est confronté au phénomène de la violence en milieu scolaire  © DR

Libreville, le 27 octobre 2022 (Dépêches 241). Dans un article de presse, Fabien Bibang-Bi-Nguema, journaliste indépendant livre son analyse concernant la problématique de la violence en milieu scolaire au Gabon. Nous publions in-extenso le fruit de ses réflexions. 

Les récents faits de violence entre élèves survenus au Lycée Paul Emane Eyeghe (L.P.E.E) dans le cinquième arrondissement de Libreville, où l’on voit notamment un élève de la classe de 5ème âgé de 16 ans violemment rouer de coups son jeune condisciple, ont heurté la sensibilité de l’opinion publique et suscité une vague d’indignations à travers les réseaux sociaux et autres plateformes de communication, remettant au goût du jour la problématique de la violence juvénile en milieu scolaire dans notre pays.

Mieux, ils indiquent avec gravité l’extrême urgence qu’il y a pour les autorités compétentes à la résoudre. La violence des faits sus incriminés est particulièrement alarmante comme on peut le constater sur les nombreuses vidéos en circulation sur les réseaux sociaux, tout comme le sont les chiffres officiels de la dernière enquête menée par le Ministère de l’Education Nationale en 2019 qui situent la violence en milieu scolaire (VMS) autour de 59% au Gabon. 

Tous ces indicateurs permettent de voir que personne au sein de la communauté scolaire n’est vraiment épargné, des plus petits au personnel d’encadrement, et cela sur toute l’étendue du territoire. En effet, et depuis quelques années maintenant, on constate une multiplication des faits de violence en milieu scolaire autant à Libreville, dans notre capitale, qu’un peu partout à l’intérieur du pays. Sans être exhaustif, énumérons quelques faits marquants de ces cinq dernières années : décembre 2017, une élève âgée de 17 ans, en classe de 2nde au Collège et Lycée Notre Dame de Quaben dans le premier arrondissement de Libreville, est violemment agressée à l’aide d’un compas par une élève du même établissement âgée de 14 ans et en classe de 4ème, se tirant avec six points de sutures à la tête ; Mardi 15 janvier 2019 au Lycée Diba Diba à Bel-Air, toujours dans le premier arrondissement, un élève de 16 ans (I.G) frappe copieusement son enseignant de théâtre, un certain monsieur Ondo Ondo, provoquant en conséquence 90 jours d’indisponibilité chez l’infortuné ; en mai de la même année, au Lycée Public Jean Baptiste Obiang Etoughe (L.P.J.B.O.E) dans le sixième arrondissement de notre capitale, un élève poignarde mortellement son condisciple à la suite d’une banale dispute entamée durant l’heure du cours, pouvait-on entendre de la part du Proviseur dudit établissement ; le 20 mai 2022, dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, aux abords du Lycée Public Bâ-Oumar (L.P.B.O) au Bas de Gué-Gué dans un quartier huppé du premier arrondissement de la capitale gabonaise, on y voit notamment un élève tentant de poignarder son condisciple à l’aide d’un couteau sous le regard apeuré et impuissant des autres. 

Mars 2021, dans une toute autre province à l’extrême nord du pays, précisément dans la ville de Bitam, le Lycée Public Simon Oyono Aba’a (L.P.S.O.A) avait enregistré un cas de violence entre deux élèves du niveau 1 ère , une jeune fille et un garçon notamment. D’après de nombreuses sources concordantes, le jeune garçon n’aurait pas apprécié que la fille se mêla à un groupe de condisciples qui le prenaient en moquerie. Acculé par les incessantes railleries de ses condisciples, le jeune homme s’en est violemment pris à la fille, la cognant et la poussant au sol, occasionnant ainsi une grave blessure à la nuque de cette dernière ; plus récemment encore, puisqu’il s’agit d’un fait intervenu durant la dernière session du baccalauréat de juin 2022, entre deux élèves du centre de composition du Lycée Public Jean Jacques Boucavel (L.P.J.J.B) de Mouila, dans la province de la Ngounié au Sud du Gabon. Deux candidats, tous issus de la ville de Mbigou, Buzzy du Collège et Lycée la Vision et David du Lycée Public Amiar Ngah’an (L.P.A.N), arrivent aux mains à la suite d’une dispute au sujet d’un prétendu vol de bouteilles d’eau au sein de leur loge. Selon de nombreux témoignages dignes de foi, le dernier cité (David) aurait accusé le premier d’être l’auteur des fréquentes disparitions de ses bouteilles d’eau. Ne souhaitant passer pour un voleur, Buzzy aurait nié les faits en bloc, provoquant le courroux de David qui lui porta un coup. En mesure de rétorsion, le nommé Buzzy se serait saisi d’un parpaing qu’il aurait ensuite lancé vers son colocataire, le manquant mais blessant malheureusement un autre candidat à la tête. 

Photo d’une blessure par arme blanche d’une élève par sa condisciple au Collège et Lycée Notre Dame de Quaben  ©DR

Si tout ceci interpelle au point d’émouvoir l’opinion publique, c’est à l’évidence parce que les mesures prises par le Ministère de l’Education Nationale en collaboration avec celui de l’Intérieur continuent de se montrer d’une grande inefficacité. Les quelques agents en charge des fouilles venus en appui aux surveillants régulièrement en poste dans les établissements ne font visiblement pas le poids. Les raisons de cet échec n’étaient pas très difficiles à pointer, puisque tout le monde peut les observer : la présence intermittente de ces agents de soutien aux abords des établissements, la vétusté, lorsqu’il n’est pas simplement question d’absence de clôture appropriée au sein de ces établissements. Ne sont pas en reste les retards et la négligence des surveillants des bâtiments qui, parfois, semblent de mèche avec ces élèves indélicats.

Le cas du Lycée Technique National Omar Bongo (L.T.N.O.B) est bien emblématique de cet état de faits. Les nombreux points d’entrée abandonnés par le dispositif de surveillance et la latitude qui y est laissée aux riverains en font un non-lieu. Il n’est donc pas surprenant qu’on y vende des stupéfiants de toutes sortes. Des petites bottes de chanvre indien aux comprimés euphorisants de toutes natures, qu’ils désignent eux-mêmes sous les expressions de « pions » ou « kobolos » en passant par la cocaïne, tout y est. Dans un tel contexte, pas étonnant que certains de nos élèves soient devenus des dealers patentés, et d’autres, des enragés pour qui la violence extrême serait devenue un véritable exutoire, l’unique solution aux différends pouvant survenir entre condisciples. 

Au demeurant, cette problématique de violence en milieu scolaire dit plus amplement de notre société en général. Elle met en relief la faillite systémique d’une société qui abandonne peu à peu ses enfants à leurs vices. Car, l’expression d’une telle violence à l’école suppose d’abord en filigrane que la famille, et plus largement les gouvernements, ont échoué à éduquer nos enfants. C’est pourquoi, si la résolution de ce problème engage certes les gouvernements en premier chef, comme le précise la Convention relative aux Droits de l’Enfant (C.D.E) adoptée par l’Assemblée Générale de l’O.N.U le 20 novembre 1989 et ratifiée par le Gabon le 9 février 1994 en son Article 33 : « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives, pour protéger les enfants contre l’usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient utilisés pour la production et le trafic illicites de ces substances. », il reste également celui des parents d’élèves par l’intermédiaire de leurs associations et autres regroupements communautaires comme le soutient la Convention sus évoquée en son Article 5 : « Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention. ». 

In fine, les différents gouvernements, les parents, les associations et les O.N.G doivent impérativement utiliser l’impressionnant dispositif réglementaire disponible dans notre pays en matière de protection et des droits de l’enfant (C.D.E ; Code de l’Enfant ; Protocole de Palerme, etc.), afin de se faire entendre plus souvent auprès de leurs progénitures, de les sensibiliser et surtout de les éduquer à vivre en paix, gage d’un véritable vivre-ensemble comme le précise l’Article 29 de la même Convention : « L’éducation des enfants doit les aider à développer pleinement leur personnalité, leurs talents et leurs capacités. Elle doit leur enseigner à comprendre leurs droits et à respecter les droits et la culture des autres, ainsi que leurs différences. Elle doit les aider à vivre en paix et à protéger l’environnement.». Notre avenir commun est en jeu. 

Par ailleurs, les journalistes et les professionnels de la communication devraient revisiter leurs différentes approches en travaillant davantage avec réserve et responsabilité au respect et à la protection de l’image des enfants présumés indélicats ou criminels, car ceux-ci se trouvent régulièrement exposés de manière hâtive dans les médias et sur les réseaux sociaux, sans parfois attendre qu’une enquête poussée ait établi la culpabilité de ces enfants présumés innocents. C’est d’ailleurs ce que recommande l’Article 16 de ladite Convention, relatif à la vie privée : « Chaque enfant a le droit à une vie privée. La loi doit protéger les enfants contre toute attaque à leur vie privée, à leur famille, à leur foyer, à leurs communications et à leur réputation », et l’Article 40 relatif aux enfants ayant désobéi à la loi: « Les enfants accusés de ne pas respecter la loi ont le droit de recevoir un traitement juste et une aide des personnes qui connaissent la loi. Un grand nombre de solutions doivent être disponibles pour aider ces enfants à devenir de bons membres de la communauté. La prison doit être la dernière possibilité choisie».  

Par Fabien BIBANG BI NGUEMA, Journaliste Indépendant 

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