
Libreville, le 27 janvier 2023 – (Dépêches 241). Mardi dernier Alain Claude Bilié-By-Nze a effectué sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale. Réagissant après l’intervention de ce dernier , Séraphin Davain Akouré, député du Département de l’Ogooué et des Lacs, siège unique, commune de Lambaréné, 2ème arrondissement s’est indigné devant la faible part du budget de l’Etat consacrée à l’investissement soit 10%. Dans une tribune, l’économiste, spécialiste des questions de développement, exerçant au Togo, Junien Roxan Nze Biyoghe apporte quelques éléments de réflexions et d’analyse autour de cette question.
A l’issue de l’intervention ô combien médiatisée du député Séraphin Davain Akouré lors de la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre à l’Assemblée nationale, il convient au-delà de la passion qui caractérise le débat politique, de soulever une réflexion simple et rapide, mais aussi d’apporter quelques éléments d’éclaircissements sur la question de la faible proportion du budget consacrée à l’investissement dans notre pays.
D’entrée de jeu, se pose d’abord la question de la pertinence de la statistique évoquée par l’honorable député. Autrement dit, est-il pertinent de regarder la part du budget consacrée à l’investissement et de constater sa faiblesse ? Oui. Est-il pertinent de limiter l’analyse à cela sans évoquer d’éventuels facteurs explicatifs inhérents à cette situation ? Non. Avec non moins d’acuité, se pose également la question de savoir s’il s’agit d’un problème typiquement gabonais, ainsi que les pistes de solutions susceptibles d’être mobilisées pour y remédier.
Une dotation à l’investissement manifestement faible
Ainsi, s’agissant de la pertinence de la statistique révélée par l’honorable député, il va sans dire que celle-ci est intéressante tant elle nous permet de constater, non sans quelques difficultés respiratoires, la faible dotation consacrée à l’investissement dans le budget de l’Etat pour l’exercice 2023. Il importe de rappeler à toutes fins utiles que l’investissement public est le moteur de l’économie d’autant plus qu’il permet de développer un ensemble d’infrastructures socio-économiques et de financer des réformes qui créent des conditions favorables à la croissance économique et au développement.
Une dynamique d’investissement public soutenue dans le temps permet de financer de manière active des initiatives telles que : la construction de ports, de routes, le renforcement des capacités énergétiques, la construction d’établissements scolaires et universitaires, la construction d’hôpitaux, avec des externalités positives sur l’emploi (notamment des jeunes) et sur l’investissement privé. Par conséquent, cette situation apparaît de fait comme incongrue et difficilement compréhensible au regard de la conjonction de manquements et des besoins auxquels sont confrontées les populations gabonaises au quotidien.
Cependant, il est à noter aussi que l’analyse de cette situation convoque une certaine dose de nuance en ce sens que la faible proportion du budget consacrée à l’investissement est loin d’être un problème typiquement gabonais, mais bien une réalité particulièrement prégnante dans de nombreux pays en développement.
Nuances et facteurs explicatifs
L’un des facteurs explicatifs associé à ce phénomène est tout d’abord le poids important que représente la dette publique et ses intérêts dans le budget de l’Etat. La dette publique dans certains pays en développement et notamment la dette extérieure absorberait jusqu’à 40% voire 45% des ressources de l’Etat pour un exercice budgétaire donné. Dans cette configuration, les Etats ne se retrouveraient en réalité qu’avec une marge de manœuvre comprise entre 55% et 60% de ressources budgétaires mobilisées pour financer les trois (03) postes classiques de dépenses que sont : le fonctionnement, l’investissement, et les dépenses sociales. Cela paraît clairement insuffisant en l’occurrence dans le contexte de pays pauvres.
Au poids excessif de la dette, s’ajoutent également d’autres facteurs explicatifs qui accentuent la chape de plomb sous laquelle ploient les Etats. Il s’agit notamment du caractère particulièrement élevé et faiblement contrôlé des dépenses de fonctionnement. Il peut être pointé entre autres les dépenses relatives à la masse salariale et aux effectifs pléthoriques de la fonction publique, ou encore les dépenses en biens d’équipement et autres, qui conduisent les États à consacrer une large part du budget aux questions de fonctionnement. Tout ceci au détriment des dépenses d’investissement pourtant essentielles, et même des dépenses sociales (hors contexte d’urgence de type Covid 19).
Approche et proposition de piste de solution
Une fois un tel tableau dressé, il importe alors de s’interroger sur les quelques approches de solutions au demeurant non exhaustives, susceptibles d’être mobilisées en vue de libérer de l’espace budgétaire pour accroître la proportion du Budget de l’Etat consacrée à l’Investissement. Dans le présent cas de figure, ces solutions s’articulent autour de quatre (04) points essentiels que sont :

- La nécessité de discuter franchement et concrètement avec les partenaires extérieurs au niveau bilatéral et multilatéral en vue de renégocier les conditions d’emprunt et de remboursement de la dette, tout en définissant un calendrier de paiements fondées sur des bases considérées comme « soutenables » pour les deux parties. Même s’il est généralement admis que la main qui demande est toujours en dessous, il importe de comprendre également qu’un banquier qui n’a pas de client ne fait aucun bénéfice. La question de la dette est en réalité la question d’un rapport de force, et à cet effet, une approche nationale du concept de soutenabilité pourrait être particulièrement développée en vue des négociations éventuelles avec les partenaires ;
- La mise en place d’un véritable programme de compression des dépenses de fonctionnement et de planification minutieuse des dépenses d’investissement en fonction des objectifs de croissance à moyen terme recherchés par le pays. En ce sens, les fonctions de planification-suivi-évaluation des projets d’investissement publics devraient être profondément promues et développées ;
- L’optimisation de la collecte des recettes fiscales à travers une centralisation de régies financières des impôts et douanes, et l’instauration de taxes dans des domaines tels que les infractions routières ou encore le e-commerce ;
- L’abattement de sanctions terribles sur les auteurs de la petite et grande corruption, ainsi que sur les personnes rendues coupables de détournements de fonds publics.
Nonobstant la pertinence des mesures proposées, force est de reconnaître leur caractère impopulaire et « peu sexy » politiquement. Par ailleurs, il nous faut absolument boire la calebasse de l’impopularité et manger notre pain noir pour accroitre la part du budget consacrée à l’investissement, promouvoir la croissance économique, et améliorer les conditions de vie des populations dans notre pays.
Le Gabon est notre alma mater et nous n’avons nul besoin que le Fonds Monétaire Internationale (FMI) vienne nous mettre sous ajustement structurel pour que nous comprenions qu’il faille serrer la ceinture.
Junien Roxan Nze Biyoghe