Gabon: le règne des ministres sans boussole ou quand le pouvoir piétine la compétence

Photo de Famille du 1e gouvernement de la 5e République © DR

Libreville, 2 juin 2025 – (Dépêches 241). Ils passent d’un ministère à l’autre comme on change de costume. Un jour à l’Énergie, demain à la Justice, la semaine suivante à la Culture. Ils inaugurent des projets dont ils ignorent les enjeux techniques, posent la première pierre d’initiatives qu’ils ne suivront pas, et signent des textes dont la portée leur échappe parfois, signent des décrets qu’ils n’ont pas rédigés, dirigent des équipes dont ils ne connaissent ni les métiers ni les codes. Ce sont les ministres sans boussole: ceux qu’on nomme non pas pour leur expertise, mais pour leur loyauté, leur utilité politique ou leur simple disponibilité. 

Depuis des années, le paysage gouvernemental gabonais est rythmé par des nominations transversales qui interrogent. Comment justifie-t-on, objectivement, le passage d’un individu d’un ministère technique comme l’Économie ou les Infrastructures à un poste plus régalien comme la Justice ou l’Éducation nationale, sans formation adéquate ni expérience professionnelle en lien avec les réalités du terrain ? Cette pratique n’est pas seulement curieuse : elle est dangereuse.

Diriger un ministère, ce n’est pas représenter une institution: c’est incarner une politique, prendre des décisions structurantes, arbitrer avec discernement. Or, comment arbitrer efficacement sans maîtrise des dossiers ? Comment impulser une réforme crédible quand on découvre à peine les fondamentaux du secteur qu’on est censé transformer ?

Les administrations, souvent tenues à l’écart des nominations, se retrouvent à « former » en urgence des ministres novices, à réexpliquer sans cesse les mécanismes qu’ils ont pourtant la charge de gouverner. Le résultat est sans appel : des retards dans l’exécution des projets, une faible appropriation des priorités sectorielles, et une instabilité chronique dans les politiques publiques. À cela s’ajoute une démotivation croissante des cadres techniques, parfois relégués au second plan alors qu’ils possèdent, eux, la légitimité professionnelle nécessaire pour porter des réformes.

Ce recyclage politique permanent révèle en creux une certaine conception du pouvoir : celle d’un exécutif où la compétence passe après les équilibres internes, les stratégies de contrôle ou les alliances opportunes. Mais à force de sacrifier l’efficacité sur l’autel du calcul politique, on fragilise l’État dans sa capacité à répondre aux vrais défis. Ni la justice, ni la santé, ni l’éducation ne peuvent être gouvernées à l’aveugle. Ces secteurs exigent des profils solides, expérimentés, engagés. Des gens du métier, pas des touristes institutionnels.

Il est temps de repenser le mode de nomination aux plus hautes fonctions. Non pas en excluant la dimension politique qui est inévitable dans toute démocratie, mais en replaçant la compétence au centre du processus. Un pays qui aspire à la réforme, à l’efficacité et à la crédibilité internationale ne peut se permettre de confier ses leviers les plus sensibles à des mains inexpérimentées.

Au fond, poser la question des ministres sans boussole, ce n’est pas s’en prendre aux individus : c’est questionner un système. Un système qui, faute de réforme, continuera à nommer au hasard et à gouverner à l’aveugle. Et dans un contexte où chaque erreur de pilotage coûte cher au citoyen, l’heure n’est plus à l’improvisation. Il faut choisir : gérer un pays ou simplement l’occuper.

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