
Libreville, le 13 Juin 2025 – (Dépêches 241). « On pensait qu’Oligui est venu nous sauver, on ne savait que c’était la mort ». Ce cri déchirant résonne dans les ruelles de Ntseng-Kele, quartier populaire situé derrière l’ambassade de Chine à Libreville. Là, des dizaines de familles, aujourd’hui sans domicile fixe, pleurent un déguerpissement brutal et sans préavis orchestré par les autorités publiques. Une opération qui, loin d’apporter une solution, a plongé ces populations dans une détresse humaine profonde, révélant une fracture sociale et politique souvent passée sous silence.
Ntseng-Kele n’est pas qu’un simple quartier périphérique de Libreville. C’est un lieu où des milliers de Gabonais vivent, travaillent, rêvent, malgré un accès limité aux infrastructures de base. Depuis plusieurs années, les habitants réclamaient des réponses à leurs conditions précaires, espérant que la nouvelle ère promise par le chef de l’État, Brice Oligui Nguema, apporterait un souffle d’espoir.
Ntseng-Kele, un quartier oublié dans la tourmente
Mais la réalité est tout autre. Dans une opération menée au petit matin, sans concertation ni relogement, ni indemnisation totale des populations, les autorités ont procédé à des démolitions et expulsions massives. Les maisons, construites souvent de leurs mains, sont tombées en quelques heures, réduisant en cendres des années de vies et de souvenirs.
Pour Marie, mère de quatre enfants, la violence de cette opération est une trahison. « On nous avait dit que tout allait changer, que la justice allait revenir. On pensait qu’Oligui est venu nous sauver, on ne savait que c’était la mort », confie-t-elle, la voix tremblante. « Aujourd’hui, nous sommes dehors, sans abri, sans aide. Où aller ? Comment vivre ? », ajoute t-elle.
« Une exécution sociale déguisée »
Cette situation révèle une problématique plus large : celle des politiques urbaines au Gabon, où les populations vulnérables sont souvent sacrifiées au nom d’un prétendu « développement » ou d’intérêts géopolitiques. Derrière l’ambassade de Chine, un symbole fort, se joue une bataille silencieuse entre modernisation et droits fondamentaux.
Un angle rare : la géopolitique au cœur de la crise urbaine
Peu d’analystes osent pointer du doigt le lien entre ces déguerpissements et les enjeux géopolitiques. La proximité immédiate de l’ambassade de Chine n’est pas un hasard. Le Gabon, partenaire stratégique de Pékin, voit son espace urbain remodelé pour accueillir des projets d’envergure, souvent au détriment des populations locales. Ainsi, la destruction de Ntseng-Kele peut être lue comme une manifestation concrète des tensions entre souveraineté populaire et impératifs diplomatiques. La question se pose : à quel prix le Gabon construit-il son avenir ? Et surtout, qui en paie le prix fort ?
Vers une mobilisation citoyenne ?
Face à cette situation dramatique, des voix s’élèvent. Des ONG locales et internationales appellent à la reconnaissance des droits des expulsés, à une enquête transparente et à des mesures de relogement dignes. Des militants dénoncent une « exécution sociale déguisée » et réclament une réforme urgente des politiques urbaines, plus respectueuse des populations. Surtout les victimes traumatisées par cette opération, en viennent à regretter les président de l’ancien régime qu’ils ont pourtant rejeté pour Brice Clotaire Oligui Nguema. « Bongo ne nous a jamais fait ça, ni Ali, il ne nous a jamais fait ça (…) On t’enlève de chez toi comme un chien … ». Des paroles hautement symboliques qui actent clairement la déception qui étreint ces populations qui remettent désormais en cause la confiance accordée à celui qu’on a surnommé « Josué ».
Pour l’instant, les habitants de Ntseng-Kele attendent, dans l’angoisse et l’incertitude, que justice soit faite. Leur détresse est un miroir brisé de la société gabonaise – un appel à ne pas oublier ceux qui, dans l’ombre des grandes manœuvres politiques, voient leur vie réduite à néant. L’affaire Ntseng-Kele est bien plus qu’un simple fait divers. C’est une tragédie humaine qui interroge les choix politiques et économiques du Gabon contemporain et de cette Ve République qui a promis redonner aux Gabonais leur dignité. Derrière les discours officiels, il y a des vies brisées, des familles à reconstruire, et une nation qui doit réconcilier son développement avec la dignité de ses citoyens.