Souveraineté alimentaire: entre discours, chantiers et privatisations

Le gouvernement affirme régulièrement son engagement pour l’autonomie alimentaire, mais les actions sont ponctuelles, mal coordonnées, et les financements dérisoires ©DR

Libreville, le 17 Juin 2025 – (Dépêches 241). Depuis août 2023, le Gabon affiche clairement sa volonté d’atteindre la souveraineté alimentaire, notamment via le Plan National de Développement pour la Transition (PNDT). D’ici 2026, un fonds de 58,6 milliards FCFA était prévu pour structurer le secteur. Pour l’heure, seuls 3 milliards FCFA ont été débloqués, soit moins de 6% de l’enveloppe prévue. Cet écart entre promesses et mobilisation financière illustre un manque de réalité opérationnelle qui affaiblit sérieusement toute ambition agricole.

En mai 2024, l’État a créé la Société pour l’Agriculture et l’Élevage du Gabon (SAEG), censée remplacer la SOTRADER pour structurer la production nationale. Pourtant, un an après sa création, aucune chaîne de production ou projet d’envergure n’a été lancé. Ce décalage entre institutionnalisation et concrétisation rend la SAEG plus décorative que stratégique. Deux vagues de distribution d’équipements agricoles ont eu lieu : 29 tracteurs et 11 attelages en mars 2025 ont été livrés aux exploitants. Mais la mise en œuvre reste à prouver : en l’absence de formation, d’intrants ou d’unités de transformation, ces matériels risquent de rester inutilisés. La mécanisation seule ne suffit pas.

Parallèlement à ces initiatives, l’État a fermé les yeux sur le rachat de la SMAG (farine, œufs, volailles) par l’opérateur ivoirien KIF PRODUCTION, sans exercer son droit de préemption. Dans le même registre, la Sucaf, unique sucrerie nationale, a été vendue symboliquement (1 FCFA) à une société turque, MFB International, contre engagements d’investissements de 11 milliards FCFA et une importation de 10 000 tonnes de sucre par trimestre sur 12 mois. Ces mouvements affaiblissent la maîtrise de l’État sur des filières vitales. 

Privatisations alimentaires : la SMAG et la Sucaf évoquées

Le gouvernement affirme régulièrement son engagement pour l’autonomie alimentaire, mais les actions sont ponctuelles, mal coordonnées, et les financements dérisoires. Créer la SAEG, distribuer quelques tracteurs, annoncer une centrale d’achat… autant de déclarations creuses sans feuille de route claire, sans infrastructure ni suivi pédagogique. La vérité est que le secteur agricole ne représente que 3,8% du PIB du Gabon, et le pays reste tributaire à 70% des importations alimentaires, selon les données de la FAO.

La gouvernance du secteur est aussi en cause. Aucun ministère de l’Agriculture ou de l’Élevage ne dispose à ce jour d’une cartographie des filières prioritaires, ni d’un plan pluriannuel de production. Les techniciens agricoles sont peu visibles sur le terrain et les coopératives restent marginales. Résultat : la spéculation sur les prix alimentaires persiste dans les grandes villes, faute d’une régulation efficace.

À cela s’ajoute un manque criant de données fiables sur les surfaces cultivées, les rendements ou les besoins logistiques réels. Le système de suivi-évaluation des projets agricoles est quasi inexistant, rendant difficile toute correction de trajectoire. Les crédits alloués au secteur sont souvent mal exécutés ou détournés, comme l’ont révélé plusieurs rapports de la Cour des comptes. L’absence de pilotage stratégique rend illisibles les ambitions de souveraineté alimentaire brandies par les autorités.

Une préemption sélective, au gré des intérêts politiques

L’État gabonais a montré sa capacité à intervenir directement dans certains secteurs : rachat de parts d’Afrijet, d’Assala Energy via GOC, de SBNG. Mais il s’est abstenu dans des domaines stratégiques pour l’alimentation du pays. Pourquoi ces deux poids, deux mesures ? Pourquoi ne pas faire valoir la même souveraineté sur la SMAG ou la Sucaf que dans l’énergie ou la finance ? Ce flou dans les choix stratégiques alimente le doute sur la cohérence de la politique économique.

Le terme « souveraineté alimentaire » est omniprésent dans les discours politiques, mais reste largement théorique. Faute d’un engagement budgétaire soutenu, d’un portage politique ferme, et d’un partenariat public-privé structuré, les espoirs d’autonomie resteront lettre morte. Loin de renforcer sa résilience, le Gabon continue de s’exposer à des pénuries récurrentes, à la dépendance commerciale, et à des arbitrages défavorables pour ses producteurs locaux.

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