Libreville, le 29 novembre 2024 – (Dépêches 241). Le président de la transition ambitionne de mettre la main sur les parts détenues par Delta Synergie au capital de la banque, en échange de l’abandon d’un audit lancé à l’encontre de cette holding du clan Bongo. Henri-Claude Oyima, PDG de BGFIBank depuis près de quarante ans, est sur un siège éjectable.
Un simple courrier a ouvert les hostilités. Le 25 novembre, Jérôme Andjoua, le directeur de Delta Synergie, holding familiale fondée par l’ancien président Omar Bongo (1967-2009) afin de centraliser les actifs de la famille, a reçu une lettre de la task force chargée de l’apurement de la dette de l’État. Rédigée par le conseiller présidentiel franco-andorran Pierre Duro, la missive, consultée par Africa Intelligence, exige de Delta Synergie qu’il cède à l’État toutes ses participations (9,91 %) au sein de BGFIBank Holding Corp, holding de tête contrôlant l’ensemble du groupe bancaire BGFIBank.
En échange, l’État suspendra l’audit en cours sur les activités de Delta Synergie et s’engage à effacer les dettes fiscales et douanières de la Société gabonaise de service, ainsi qu’à lui faire bénéficier d’un crédit d’impôts. Cette entreprise de gardiennage et de sécurité, appartenant à Delta Synergie, est endettée à hauteur de plusieurs milliards de francs CFA. Au-delà du seul cas de Delta Synergie, c’est la reprise en main de BGFIBank par l’État que vise la junte du Comité pour la transition et la restauration des institutions.
La proposition a été validée en personne par Brice Clotaire Oligui Nguema lors d’une réunion qui s’est tenue au Palais du bord de mer le 23 novembre. Le président de la transition, fort de sa large victoire au référendum constitutionnel une semaine plus tôt, le plaçant en orbite pour l’élection présidentielle, met la cheffe du clan Bongo, Pascaline Bongo, fille aînée d’Omar Bongo, face à un dilemme : transiger et perdre son contrôle sur la première banque d’Afrique centrale, bras financier de Libreville et présent dans dix pays d’Afrique, ainsi qu’en France ; ou résister, au risque de mettre en péril l’existence de la holding, qui assure, notamment via des participations dans des groupes étrangers, la subsistance financière du clan Bongo depuis la mort de son patriarche, en 2009. Pascaline Bongo a jusqu’au 6 décembre pour donner sa réponse.
Changement de braquet
Annoncé en mars, l’audit de Delta Synergie a patiné durant de longs mois. Suivant les mises en garde de plusieurs de ses conseillers, et de son homologue congolais, Denis Sassou-Nguesso, le chef de la junte avait préféré temporiser, craignant de brusquer le clan Bongo, déjà échaudé par la reprise en main par l’Etat des résidences familiales de Libreville, Franceville et Ngouoni (Haut-Ogooué). Peine perdue, Pascaline Bongo, agacée, est allée chercher un soutien à Brazzaville auprès du petit-fils du président congolais et fils d’Omar Bongo, Omar-Denis Junior Bongo (ODJB, AI du 10/10/24).
Au début du mois de novembre, le président gabonais a changé de braquet. Fort de ses pouvoirs d’officier de police judiciaire, Pierre Duro s’est remis à la tâche. Le 18 novembre, le conseiller âgé de 75 ans a adressé une liste d’éléments à lui communiquer, dont la liste des actionnaires de la holding, la composition de la succession d’Omar Bongo, l’historique des participations de Delta au sein de BGFIBank, la liste de ses biens immobiliers et l’état des créances de ses sociétés envers l’État.
Fort de ses 9,91 %, Delta Synergie est l’un des principaux actionnaires de la holding de tête du groupe BGFIBank, derrière la Sogafric (13,13 %), contrôlée par le Franco-Gabonais Christian Kerangall. Les services de la task force s’intéressent cependant plus précisément au cas du PDG de BGFI Bank, Henri-Claude Oyima. En plus de participations en propre (3,96 % en août 2023) et de quelques achats anecdotiques d’actions par ses proches, la task force soupçonne le banquier de 67 ans d’être peu à peu monté au capital de BGFIBank Holding Corp via sa holding personnelle, Nahor Capital, qui possède 9,25 % du capital.
Un précieux allié
Henri-Claude Oyima dirige la banque depuis 1985. Créée pour gérer la manne pétrolière, elle s’appelait à l’époque Paribas Gabon. Seul survivant à son poste de l’ère Omar Bongo, dont il s’occupait des finances personnelles, Henri-Claude Oyima s’est imposé sur le continent comme un interlocuteur privilégié de plusieurs chefs d’État, qui apprécient sa discrétion. Il est le maître d’œuvre du développement du groupe, qui a fait 100 milliards de francs CFA (153 millions d’euros) de résultats en 2024. Lors du putsch du 30 août 2023, le PDG de BGFIBank, et patron de la Fédération des entreprises du Gabon (FEG), s’était révélé un précieux allié pour Brice Clotaire Oligui Nguema. Il lui avait ouvert son carnet d’adresses et fait sa promotion auprès des opérateurs économiques.
Incontournable les premières semaines de la transition, Henri-Claude Oyima a peu à peu été mis sur la touche. Les divergences de vues se sont multipliées entre le banquier et le militaire, se muant en méfiance réciproque. Plusieurs conseillers du Palais du bord de mer, dont Pierre Duro, l’ont alimentée en mettant en garde Oligui contre de supposées ambitions présidentielles du milliardaire. La rupture est désormais proche. Le président de transition, agacé par la mainmise d’Oyima sur BGFIBank Holding Corp, songe à le nommer ministre à la faveur du prochain remaniement, une déchéance déguisée en promotion.
Tensions sur l’axe Brazzaville-Libreville
Inquiet, Henri-Claude Oyima a, comme Pascaline Bongo, récemment multiplié les prises de contact avec ODJB. À Brazzaville, l’audit mené contre Delta Synergie et l’avenir de BGFIBank, qui vient de racheter les actifs de la filiale congolaise de la Société générale, sont suivis de très près. Le clan du président congolais est bien présent au capital de la holding via plusieurs sociétés, dont Yao Corp (2,32 %), appartement à ODJB et sa sœur, Yacine Bongo. Une éviction d’Henri-Claude Oyima pourrait engendrer d’importantes tensions sur l’axe Brazzaville-Libreville. En septembre déjà, Brice Clotaire Oligui Nguema avait déjà évoqué avec Denis Sassou-Nguesso le scénario d’écarter le PDG. Une perspective à laquelle s’était alors opposé le chef de l’État congolais.
L’autre motif d’inquiétude pour Denis Sassou-Nguesso concerne le sort de Hervé Patrick Opiangah, bien introduit à Brazzaville. L’homme d’affaires, beau cousin du président déchu, Ali Bongo (2009-2023), était devenu l’un des promoteurs « civils » du putsch comme ministre des mines. Il a été convoqué le 20 novembre 2024 à la Direction des affaires criminelles, sise à l’état-major des polices d’investigations judiciaires, pour répondre à des accusations de viol et d’inceste Le président du petit, mais très actif parti de l’Union pour la démocratie et l’intégration sociale (UDIS), ne s’y est pas rendu. Il est désormais en fuite, recherché par des éléments de la police et de la Garde républicaine (GR).
Sources Africa Intelligence