
Libreville, le 23 mai 2025 – (Dépêches 241). À 72 ans, l’éternel survivant de la politique gabonaise change une fois de plus de costume. Retour sur les pirouettes d’un homme qui a fait de l’opportunisme un art de vivre.
Dans la torpeur étouffante de la salle polyvalente de Bikélé, Paul Biyoghe Mba a une nouvelle fois déployé son talent de prestidigitateur politique. Mercredi 23 mai 2025, l’ancien Premier ministre d’Ali Bongo Ondimba a annoncé sa démission du PDG, avec l’émotion feinte de celui qui maîtrise parfaitement l’art de la mise en scène. Un spectacle rodé pour un homme qui a passé sa vie à sauter d’un navire à l’autre selon la direction des vents politiques.
Le caméléon récidive
« Jamais une sans deux », a-t-il déclaré sans la moindre gêne. Et pour cause : Paul Biyoghe Mba collectionne les retournements de veste avec la constance d’un métronome. Première démission du PDG en 1994, création de son propre Parti, retour triomphal en 2009 comme Premier Vice-Président… L’homme a transformé l’inconstance en système de gouvernement personnel.
Aujourd’hui, à 72 ans, le voici qui remet le couvert. Prétextant des questions « d’harmonie politique », il abandonne une nouvelle fois ses compagnons de route. Quelle harmonie peut-on attendre d’un homme qui a passé sa carrière à changer de partition selon l’orchestre qui l’emploie ?
Un discours creux pour masquer le calcul
Dans son allocution fleuve, Biyoghe Mba s’est livré à un exercice de style remarquable: dire beaucoup pour ne rien révéler. Derrière les grandes envolées sur « l’Édifice Nouveau » et les références grandiloquentes à son parcours, se dissimule une réalité crue: l’ancien dignitaire du système Bongo sent le vent tourner et prépare sa énième reconversion. Car que l’opinion ne s’y trompe pas. Cet homme qui se drape dans la vertu de la simplicité pratique depuis des décennies l’art le plus sophistiqué qui soit: celui de la survie politique. Ministre sous Omar Bongo, Premier ministre sous Ali Bongo, député sous Oligui Nguema… Paul Biyoghe Mba traverse les régimes comme d’autres changent de chemise.

La tortue ou l’escargot ?
L’intéressé revendique la tortue comme symbole politique. On peut se permettre de suggérer que l’escargot lui conviendrait mieux: un animal qui porte sa maison sur le dos et change de direction au moindre obstacle. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: une capacité déconcertante à se couler dans tous les moules du pouvoir sans jamais assumer la moindre responsabilité dans les échecs collectifs.
Où était cette conscience politique si aiguë quand le Gabon s’enlisait dans la corruption et la mal-gouvernance ? Où étaient ces nobles préoccupations pour « l’harmonie » quand il occupait les plus hauts postes dans l’appareil étatique ? L’amnésie sélective semble être devenue la spécialité de cet homme qui découvre soudain les vertus de l’opposition à l’approche de ses 73 ans.
L’indécence de l’éternel recommencement
Il y a quelque chose d’indécent dans cette énième mue de Paul Biyoghe Mba. À l’heure où le Gabon panse ses plaies et tente de se reconstruire après des décennies de prédation et de convulsion politique, voici un homme qui a participé à tous les gouvernements, cautionné tous les systèmes, et qui vient nous expliquer qu’il faut « bâtir un Édifice Nouveau ».
Mais avec quelle légitimité ? Avec quelle crédibilité ? Comment celui qui a été l’un des piliers du système peut-il prétendre aujourd’hui en être le fossoyeur ? Le cynisme a-t-il encore des limites aux yeux de certains acteurs politiques gabonais ? Les populations se posent raisonnablement toutes ces questions à l’aube de la Cinquième République.
Les Gabonais méritent mieux
Les citoyens gabonais méritent mieux que ces éternels recyclages politiques. Ils méritent des leaders qui assument leur passé, qui reconnaissent leurs erreurs, qui ont le courage de leurs convictions. Pas des girouettes qui virevoltent au gré des opportunités. Paul Biyoghe Mba parle de « nouvelle expérience » à 72 ans. La seule expérience nouvelle qui vaudrait la peine serait celle du retrait de la vie politique active. Laisser la place aux générations montantes, à ceux qui n’ont pas participé à la dilapidation des ressources nationales, à ceux qui peuvent encore croire en leurs propres discours.
L’heure du bilan
L’ancien Premier ministre d’Ali Bongo Ondimba évoque avec émotion son parcours et ses réalisations. Soit. Mais quel bilan laisse-t-il au Gabon ? Quelles réformes structurelles a-t-il initié ? Quels chantiers d’envergure porte-t-il à son actif ? La question mérite d’être posée, car au-delà des postes occupés et des honneurs reçus, c’est bien l’héritage concret qui compte.
Force est de constater que ce bilan reste largement à établir. Et c’est peut-être là, le véritable drame de cette carrière: une longévité politique inversement proportionnelle aux réalisations concrètes. Paul Biyoghe Mba annonce vouloir consacrer « le reste de sa carrière politique » au service du Gabon. Les Gabonais apprécieront. Ils jugent désormais sur pièces, pas sur les promesses d’un éternel recommencement qui n’a jamais su choisir son camp que lorsque la bataille était déjà gagnée.