Gabon : épinglé par l’ONG Environmental Investigation Agency, Perenco protégé par la justice gabonaise ?

Les révélations de l’ONG Environmental Investigation Agency, par rapport au tragique incendie de Baccuna remet au goût du jour la responsabilité de l’entreprise Franco britannique Perenco qui semble bénéficier des largesses de la justice gabonaise © DR

Libreville, le 26 mai 2025 – (Dépêches 241). L’explosion mortelle du 20 mars 2024 sur la plateforme pétrolière offshore de Becuna, exploitée par Perenco, continue de faire des vagues, mais pas là où on l’attendait. Alors que l’ONG Environmental Investigation Agency (EIA), dans un rapport accablant, met en cause les pratiques du groupe franco-britannique, les autorités gabonaises brillent par leur silence. Ni poursuites, ni enquête publique digne de ce nom, ni suspension d’activité : tout se passe comme si six morts, quatre Gabonais, un Camerounais, un Français, pouvaient être classés au rayon des incidents industriels.

Le rapport de l’EIA, relayé par Le Monde, est pourtant sans appel. L’explosion n’est pas un accident imprévisible : elle aurait pu être évitée. Deux semaines avant le drame, la plateforme avait déjà connu des incidents graves. Mais aucun signal d’alerte n’a été sérieusement traité. L’ONG pointe l’absence « d’équipements de sécurité essentiels » et une culture de travail dictée par la rentabilité à tout prix. À Perenco, la pression sur les équipes de terrain serait constante, pour maintenir le niveau de production malgré les risques.

Et pourtant, ni le ministère du Pétrole, ni celui du Travail, ni même la justice gabonaise, n’ont enclenché les procédures habituelles en cas de catastrophe industrielle. Pas d’expertise indépendante, pas de poursuite pénale, pas même une audition publique. Ce mutisme étonne, mais il n’est pas nouveau. Perenco, opérateur historique sur des champs matures abandonnés par les majors, jouit d’une bienveillance quasi-systématique de la part des institutions gabonaises, malgré les nombreuses critiques sur sa gestion environnementale et sociale.

Acteur majeur du secteur pétrolier gabonais, a, en marge de cet incident, vu sa production augmenter de 8,9% au premier semestre 2024 par rapport à l’année précédente, atteignant 41,8 millions de barils. Une performance attribuée au bon rendement des champs matures et à la montée en puissance de nouveaux puits.  Cependant, au deuxième trimestre 2024, la production a chuté de 10,8%, en grande partie à cause de l’incident survenu sur le site de Becuna.  

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Malgré ces incidents donc, Perenco continue d’investir massivement au Gabon.  En juillet 2024, la société a signé trois nouveaux contrats d’exploration et de partage de production, s’engageant à investir 90 millions de dollars (55 milliards de FCFA) dans des champs d’exploration prometteurs situés dans la province de l’Ogooué-Maritime. Par ailleurs, le pétrolier a inauguré une base vie en pleine mer pour son personnel opérant dans le champ pétrolier de Tchatamba, représentant un investissement de 60 millions de dollars (36 milliards de FCFA).  

Dans un pays où la rente pétrolière reste centrale, le poids politique des groupes pétroliers dépasse souvent celui des institutions de régulation. Mais ce laxisme nourrit un dangereux précédent. Le signal envoyé est clair : au Gabon, même après un accident mortel, il est possible de continuer à forer sans être inquiété, tant que l’État perçoit ses royalties et que les projecteurs médiatiques restent à l’étranger.

Face à cette situation, l’indignation de la société civile reste étouffée, et les familles des victimes peinent à obtenir réparation ou vérité. Le drame de Becuna révèle une fois de plus la faillite du contrôle public sur les exploitants pétroliers, et relance une question essentielle : jusqu’à quand le Gabon tolérera-t-il que ses ressources soient exploitées au prix du silence, de l’impunité, et parfois du sang ?

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