
Libreville, le 13 Juin 2025 – (Dépêches 241). Le gouvernement gabonais a sorti les grands noms : Rothschild & Cie et Algest sont désormais les stratèges officiels de la République. L’annonce est belle. Le Gabon cherche à inspirer confiance aux bailleurs, à professionnaliser sa gouvernance économique, à se donner les moyens d’une relance crédible. Sauf que derrière cette façade luxueuse, les fondations institutionnelles sont fragiles, obsolètes, parfois totalement dysfonctionnelles. Et tout le monde le sait : on ne monte pas une tour en verre sur du sable mouillé.
Qui pilote réellement les finances publiques du pays ? La DGBFIP, censée structurer le budget et gérer l’exécution financière, est rongée par la rigidité administrative et un manque de culture du résultat. La Direction générale de l’économie et de la politique fiscale devrait formuler la stratégie économique, mais elle brille par son silence, sans publications crédibles, sans débats. Quant à la Cour des comptes, censée contrôler tout ce beau monde, elle n’est ni indépendante, ni redoutée. Résultat : ce sont des institutions sous-performantes, court-circuitées par la décision politique, parfois juste décoratives.
Faire appel à des banques d’affaires, ce n’est pas un problème en soi. Ce qui l’est, c’est de croire qu’elles peuvent faire le boulot des ministères, des directions générales, des inspecteurs et des comptables publics. Ce n’est pas Rothschild qui va produire des statistiques fiables, concevoir une fiscalité équitable, ni faire le suivi des subventions agricoles. Ce n’est pas Algest qui va auditer les établissements publics ou rationaliser la dépense administrative. Si l’État ne se répare pas de l’intérieur, tout conseil externe – aussi prestigieux soit-il – restera une rustine sur un pneu crevé.
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Le rapport de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) ne fait pas dans la dentelle : il dénonce la faiblesse des institutions dans la mise en œuvre des politiques publiques. L’un des points les plus préoccupants reste le manque d’ancrage local des stratégies économiques. Trop souvent, les documents stratégiques sont produits à l’extérieur, par des consultants ou des partenaires, sans appropriation nationale réelle. C’est exactement ce qui est en train de se passer avec Rothschild : une stratégie « made in ailleurs », sur une administration «hors service ».
On le sait. On le dit. Mais on ne fait rien. Depuis des années, les rapports s’empilent, les audits sont commandés, les alertes sont lancées. Pourtant, aucune réforme profonde de la chaîne budgétaire, aucun renforcement sérieux des capacités techniques, aucune refondation des directions économiques n’a été menée. On fait des annonces, on crée des fonds, on signe des contrats. Mais on évite soigneusement de toucher au cœur du problème : l’appareil d’État est rouillé, mal piloté, et souvent incapable de traduire la stratégie en action concrète.
Le Gabon a tout intérêt à profiter de l’appui de Rothschild pour séduire les investisseurs. Mais cela ne suffira pas. Si les institutions restent faibles, les projets ne verront pas le jour, les financements s’évaporeront, et les crises reviendront, encore plus brutales. Il faut reconstruire l’État, pas seulement sa façade. Il faut des directions générales puissantes, des fonctionnaires formés, des mécanismes de contrôle indépendants. Sans ça, les conseils de luxe ne serviront à rien. Ils maquilleront peut-être la réalité, mais ne la changeront pas.