Libreville, le 12 mars 2024 – ( Dépêches 241). « Nous », sous-entendant probablement le Ministère dont elle est en charge, « avons été interpellés au plus haut niveau » pour comprendre ce qui se passe. C’est en amorce de son propos les mots que Laurence Ndong a choisi alors qu’elle tançait les principaux responsables de la télévision nationale, Gabon 1ère. Elle leur reprochait en effet, d’avoir diffusé pour le compte du JT du week-end écoulé, trois reportages relatifs aux récentes activités politiques du Parti Démocratique Gabonais (PDG), ancien Parti au pouvoir. À priori rien d’anormal serait-on tenté de croire, et les simples d’esprit jugeraient peut-être même l’acte convenable. Mais à bien y penser, il en est rien.
Tout d’abord, et c’est le moins qu’on puisse dire, parce que la scénarisation de l’acte donne à penser. Elle donne précisément à voir une Laurence Ndong désireuse de se montrer à l’opinion publique comme une patriote ayant à cœur d’éviter à son pays de retomber entre les mains du PDG. Mais penser cela, c’est bien vite oublier le passé trop récent que beaucoup de Gabonaises et de Gabonais ont encore en mémoire ; celui d’une jeune femme au verbe bien assumé défendant le PDG et son Président Ali Bongo Ondimba en Europe après l’élection sanglante d’août 2009 à l’issue de laquelle le PDG a continué de gérer le pouvoir.
Celui d’une femme, après être passée dans l’opposition chez Jean Ping en 2016, qui prônait et appelait à la démocratie, à l’équité et de la méritocratie, une fois au pouvoir s’est totalement reniée. Trahissant ses postures d’antan, flirtant avec le culte de la personnalité et la déification en parlant de Messie s’agissant de son nouveau patron. Celui d’une femme qui toute honte bue à l’occasion d’une interview a défendu les Pédégistes. Celui d’une femme qui osé déclaré que « Tous les Gabonais ont tous été des pédégistes à un moment de leur vie ». Celui d’une femme qui a récemment essuyé un procès justifié en népotisme et en clientélisme. Paradoxe tout à fait saisissant.
Que dire de la sortie de Gervais Oniane, Haut représentant du Chef de l’État appelant celui-ci à se porter candidat à la prochaine élection présidentielle avant même la fin de la transition ? Où était-elle pour dire sa désapprobation vis-à-vis d’une telle indécence ? En réalité, la démarche de Laurence Ndong ne relève que de l’opportunisme et du seul calcul politique. Consciente de ce que son image auprès des Gabonais s’est foncièrement dégradée après que les masques soient tombés et ses insuffisances exposées, l’ancienne égérie de la diaspora a vu dans cette mise en scène inélégante en mondovision, l’occasion inespérée de faire à nouveau émerger cette image de femme de haute stature qu’elle a faussement incarné pendant ses années d’activisme en Europe et dont l’exercice du pouvoir en a révélé la forfaiture.
Disons ensuite que dans la démarche de la ministre de la Communication, ce qui heurte en dehors de l’ostentatoire, c’est également la volonté d’humilier des hommes et des femmes certes en subordination hiérarchique, mais qui restent avant tout des collaborateurs honorables, qui ont pour certains voué leur vie au service public sans nécessairement rien à avoir ou à attendre du PDG. Car, même à convenir qu’ils aient commis une faute grave, la déontologie aurait exigé qu’ils soient convoqués dans le cadre strict de leur ministère de tutelle pour y être entendus sans grand bruit. Quitte à l’issue de cette mise au point à procéder à un changement d’équipe. Hélas le basique a été mis à poubelle pour préférer le spectacle et le bon plaisir de jouir de sa toute puissance. À cette allure, on serait tenté de penser que le dirigisme dans l’univers des médias publics est de retour, juste quelques six mois après la chute du régime d’Ali Bongo. Peut-être aurons-nous désormais droit à JT préparé par Laurence Ndong et simplement monté et lu par les journalistes du groupe Gabon TV.
Enfin, cette sortie médiatique passe mal parce qu’elle traduit une sorte de paternalisme qui insinuerait que les Gabonaises et les Gabonais seraient en quelque sorte des enfants qu’il faut absolument éviter d’exposer aux charmes du PDG, tellement leur conscience politique est peu encline à résister à leur puissance. En soi, il n’y a pas meilleure façon de dire son inconsidération du peuple. C’est à croire que les populations gabonaises ne pourraient pas d’elles-mêmes juger de l’impertinence de pareils faits.
Encore que tout le monde a du mal à comprendre jusqu’à ce jour comment une équipe de reporters a-t-elle fait pour se retrouver au domicile mis sous surveillance militaire d’Ali Bongo pour filmer sa séance de travail avec les membres du directoire du Parti dont il est demeuré président ? Tout cela madame la ministre l’a mis sous le pied. Heureusement que les Gabonais ne sont pas dupes pour comprendre que l’enjeu est ailleurs… et qu’il est foncièrement individuel et personnel.