
Libreville, le 15 Mai – (Dépêches 241). Le Gabon poursuit sa stratégie de nationalisation progressive du secteur pétrolier avec l’annonce de l’acquisition, via la Gabon Oil Company (GOC), des actifs de Tullow Oil pour un montant estimé à 300 millions de dollars, soit environ 181 milliards FCFA. Une opération qui, comme le rachat d’Assala Energy un an plus tôt, repose largement sur un financement structuré par le négociant suisse Gunvor, à hauteur de 220 millions de dollars (environ 135 milliards FCFA). Derrière les discours sur la souveraineté énergétique, le montage financier révèle une dépendance persistante à des partenaires privés étrangers.
L’acquisition couvre une production actuelle d’environ 12000 barils par jour, avec une projection revue à la baisse pour 2025 : seulement 10000 barils par jour. Des volumes relativement modestes qui, ajoutés à ceux d’Assala, porteront la production globale de la GOC à 82000 barils par jour. Mais à quel prix ? À près de 1000 milliards FCFA engagés sur deux années, le coût de cette stratégie interroge sérieusement sa rentabilité à moyen terme, surtout dans un contexte de baisse prolongée des cours du Brent.
L’opération Tullow vient s’ajouter à un endettement déjà préoccupant du secteur parapublic, dans un pays où le service de la dette atteint plus de 11 % des recettes fiscales. Si Gunvor fournit le financement, c’est évidemment en contrepartie de volumes pétroliers. Le Gabon s’endette donc en cédant à l’avance une partie de sa production, ce qui limite sa marge de manœuvre future et interroge sur la véritable nature de cette « souveraineté ». Le contrôle de l’outil productif reste étroitement conditionné par des arrangements commerciaux sur lesquels l’opinion publique n’a aucune visibilité.
Les autorités mettent en avant une stratégie de sécurisation des ressources nationales. Mais en l’absence de raffinerie moderne, de maîtrise de l’aval pétrolier et d’un cadre juridique clair sur la redistribution des recettes, ces acquisitions risquent de se transformer en fardeau. Pire encore : la récurrence des financements par prépaiement introduit un risque de dépendance systémique à un seul acteur, ce qui n’est pas sans rappeler les critiques faites au passé récent du secteur extractif gabonais.
Le rachat de Tullow Oil est peut-être une victoire symbolique pour la GOC, mais il laisse une question centrale en suspens : qui contrôle vraiment la filière pétrolière gabonaise ? Si la vitrine affiche un drapeau national, la structure de l’endettement et les clauses de livraison à long terme pourraient bien signifier que le Gabon, loin de se libérer, s’est engagé dans un cycle plus subtil mais tout aussi contraignant de dépendance énergétique.