Affaire Obiang Edou et BGFIBank: anatomie d’un système mafieux au cœur de la finance gabonaise ?

Pierrick Ivan Obiang Edou, Ancien DGA du groupe BGFIBank ©Montage Dépêches 241

Libreville, le 27 Juin 2025 – (Dépêches 241). 900 millions FCFA d’amende, comptes gelés illégalement, justice bafouée : l’affaire Obiang Edou révèle les méthodes brutales d’un empire bancaire qui se croit au-dessus des lois. Enquête sur un scandale qui ébranle les fondements de l’État de droit gabonais. Il y a des affaires qui révèlent la face cachée d’un système. Celle qui oppose Pierrick Ivan Obiang Edou au groupe BGFIBank appartient à cette catégorie. Derrière les 900 millions de francs CFA d’amende prononcés par le Tribunal du Travail de Libreville se cache une réalité glaçante : celle d’un empire financier qui n’hésite pas à broyer ses propres cadres quand ils deviennent gênants.

L’élimination programmée d’un témoin dérangeant ?

Maître Gilbert Mfoulbi Moundounga ne mâche pas ses mots : « Dans l’univers feutré, mais parsemé d’intrigues, du groupe BGFIBank, certains en arrivent donc à ‘déranger’ par leur compétence, leur intégrité et leur charisme. Pierrick Ivan Obiang Edou était de ceux-là. Il fallait donc l’écarter. Brutalement. Injustement. Spectaculairement » 

Cette déclaration fracassante met le doigt sur un phénomène récurrent dans les grandes entreprises gabonaises : l’élimination systématique des cadres intègres qui refusent de fermer les yeux sur certaines pratiques. Obiang Edou, directeur général adjoint, occupait une position stratégique qui lui donnait accès à des informations sensibles. Son « indépendance intellectuelle » et sa « probité » en faisaient un témoin potentiellement dangereux pour ceux qui orchestrent les « jeux d’intérêts installés ».

Un audit bidon pour justifier l’injustifiable

L’avocat d’Obiang Edou dénonce sans détour les méthodes employées : « L’outil de cette cabale ? Un audit bâclé, lacunaire, orienté, d’une inconsistance méthodologique déconcertante, aux allures d’inquisition moderne, destiné non pas à établir la vérité, mais à construire une narrative à charge »,  

Cette description glaçante révèle une pratique courante dans le monde des affaires gabonais : l’utilisation d’audits complaisants pour éliminer les gêneurs. Ces pseudo-expertises, menées par des cabinets aux ordres, servent de caution juridique à des décisions déjà prises en coulisses. Une perversion de l’outil d’audit qui devient une arme de destruction massive contre les salariés récalcitrants.

La justice instrumentalisée : quand BGFIBank joue avec le pénal

Le cynisme atteint son paroxysme avec le dépôt d’une plainte pénale contre Obiang Edou « curieusement déposée le 24 mai 2023, soit 2 mois après la notification de la lettre de licenciement ». Cette chronologie suspecte révèle une stratégie délibérée : utiliser la justice pénale pour salir la réputation d’un homme déjà licencié.

Pendant dix mois, Obiang Edou a subi l’opprobre d’une instruction judiciaire pour des faits qu’il n’avait pas commis. Dix mois de calvaire psychologique, de réputation ternie, de famille meurtrie. Tout cela pour qu’au final, le 2 mai 2024, le juge d’instruction rende « une ordonnance définitive de non-lieu », le blanchissant complètement. Cette instrumentalisation de la justice pénale constitue une dérive majeure qui interroge sur l’indépendance réelle du système judiciaire face aux pressions économiques.

BGFIBank au-dessus des lois : deux ans de mépris judiciaire

Mais le plus révoltant reste à venir. Depuis plus de deux ans, BGFIBank Gabon maintient illégalement le gel des comptes d’Obiang Edou, de son épouse et de leurs enfants, en dépit d’un arrêt de la Cour d’Appel de Libreville du 14 août 2023 ordonnant « sans équivoque la mainlevée pleine et entière des saisies conservatoires ». Cette obstination révèle un mépris absolu pour l’autorité judiciaire. Comment une entreprise, fût-elle puissante, peut-elle se permettre de défier ouvertement les décisions de justice ? BGFIBank a « usé de subterfuges grotesques et dilatoires pour obtenir auprès de la Cour de Cassation un sursis à exécution », révélant une stratégie juridique sophistiquée pour contourner la loi. 

Cette attitude constitue, selon les termes de l’avocat, « une entrave grave à l’État de droit, un déni de justice, et une atteinte intolérable aux droits fondamentaux ». Plus grave encore, elle révèle l’existence d’un système à deux vitesses où les puissants s’affranchissent des règles qui s’imposent au commun des mortels.

Un empire financier hors de contrôle

L’affaire Obiang Edou n’est probablement que la partie émergée de l’iceberg. Elle révèle les méthodes d’un groupe bancaire qui semble fonctionner selon ses propres règles, dans une opacité totale. Quand un directeur général adjoint peut être éliminé de manière aussi brutale, que dire des simples employés qui oseraient contester certaines pratiques ?

La décision du Tribunal du Travail, qui retient pour la première fois « la solidarité de responsabilité entre la société mère, BGFI Holding Corporation, et sa filiale, BGFIBank Gabon », révèle l’ampleur du système. Cette « confusion des intérêts et du centre décisionnel » suggère une gouvernance opaque où les responsabilités se diluent dans un labyrinthe organisationnel. 

L’omertà du secteur bancaire gabonais

Cette affaire soulève des questions dérangeantes sur le fonctionnement du secteur bancaire gabonais. Combien d’autres cadres ont été éliminés dans des conditions similaires ? Combien ont préféré se taire plutôt que d’affronter la machine de guerre juridique de BGFIBank ? Combien d’irrégularités restent enfouies dans les coffres-forts de la finance gabonaise ?

Le courage d’Obiang Edou de résister pendant deux ans à cet « acharnement d’une brutalité sans précédent » révèle l’ampleur des pressions exercées sur ceux qui refusent de courber l’échine. Sa victoire judiciaire constitue une brèche dans un système d’omertà soigneusement entretenu.

Un appel au sommet: quand la justice civile interpelle le pouvoir politique

Face à l’impasse, l’avocat d’Obiang Edou a choisi l’escalade en interpellant directement le Président de la République : « Mon client en appelle solennellement au Chef de l’État, Son Excellence Brice Clotaire Oligui Nguema, également Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, afin que l’exécution des décisions judiciaires rendues et la restauration de ses droits légitimes ainsi que ceux de sa famille, soient effectives. ». Cet appel « qui résonne comme un cri de détresse mais aussi comme un acte de confiance » met le nouveau pouvoir gabonais face à ses responsabilités. Après les promesses de changement, l’affaire BGFIBank constitue un test grandeur nature de la volonté réelle de moraliser la vie des affaires. 

 Les zones d’ombre de la finance gabonaise

L’affaire Obiang Edou révèle les dysfonctionnements profonds d’un système où la finance privée semble avoir pris le pas sur l’autorité publique. Comment expliquer qu’une banque puisse défier impunément les décisions de justice pendant plus de deux ans ? Quels sont les réseaux d’influence qui permettent de telles dérives ? La condamnation à 900 millions de francs CFA, si elle constitue une victoire symbolique, ne règle pas le problème de fond : celui d’un système bancaire qui fonctionne en vase clos, à l’abri des regards indiscrets et des contrôles démocratiques.

Un précédent qui peut tout changer

La victoire d’Obiang Edou dépasse son cas personnel. Elle ouvre une brèche dans un système qui semblait inattaquable. « Aucun salarié, fut-il cadre dirigeant, ne peut être sacrifié sur l’autel de stratégies internes opaques et d’une gouvernance toxique », rappelle son avocat. Cette affaire pourrait marquer un tournant dans les rapports de force entre les salariés et les grands groupes au Gabon. Elle démontre qu’avec de la détermination et un bon avocat, il est possible de faire plier les géants économiques devant la justice.

Le test de vérité du nouveau Gabon

L’affaire BGFIBank constitue un révélateur impitoyable des contradictions du système gabonais. D’un côté, un pouvoir politique qui prône l’État de droit et la bonne gouvernance. De l’autre, des groupes économiques qui continuent à fonctionner selon les anciens codes, dans l’impunité et l’opacité.

La réaction des autorités face à cette affaire dira beaucoup sur leur volonté réelle de changement. Soit elles font respecter les décisions de justice et montrent que nul n’est au-dessus des lois, soit elles laissent faire et confirment que les puissants restent intouchables. Pierrick Ivan Obiang Edou a gagné une bataille. Reste à savoir si le Gabon saura saisir cette occasion pour gagner la guerre contre l’impunité économique. L’histoire retiendra que le 26 mai 2025, un homme seul a fait trembler un empire. À présent, c’est au système tout entier de montrer qu’il a retenu la leçon.

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