
Libreville, le 19 Mai 2025 – (Dépêches 241). Les autorités gabonaises aiment à marteler leur ambition de souveraineté énergétique. Après le rachat d’Assala Energy en 2024 pour plus de 600 milliards FCFA, voici que la Gabon Oil Company (GOC) finalise l’acquisition des actifs de Tullow Oil pour 181 milliards FCFA, là encore avec le soutien déterminant de Gunvor. Mais à mesure que ces acquisitions s’enchaînent, une contradiction se creuse entre le discours officiel et les réalités économiques : peut-on vraiment parler de souveraineté quand la quasi-totalité des financements provient de l’étranger, conditionnés à des livraisons futures ?
La structure même des accords avec Gunvor en dit long. Il ne s’agit pas de dons ni de partenariats industriels équilibrés, mais de « prépaiements » : le Gabon reçoit des fonds en échange de volumes pétroliers garantis. C’est un endettement à peine maquillé qui hypothèque la capacité de l’État à tirer pleinement profit de son pétrole. Les actifs restent certes sous pavillon national, mais la manne qui en découle est déjà grevée avant même que le premier baril ne soit extrait. Difficile, dans ces conditions, de parler d’indépendance stratégique.
Par ailleurs, la promesse d’une montée en puissance de la GOC se heurte à des difficultés techniques. L’expérience Assala a déjà montré les limites opérationnelles de l’État gabonais dans la gestion directe des champs pétroliers matures. Plusieurs forages se sont révélés secs, les taux de déclin sont élevés, et l’entreprise peine à tenir ses objectifs de production. Avec les actifs de Tullow, qui ne représentent que 10 000 barils par jour en 2025, la marge de progression semble faible.
Le plus inquiétant reste l’absence de stratégie intégrée. Le Gabon reste totalement dépendant pour la transformation de son pétrole brut, faute d’investissement dans le raffinage et la pétrochimie. L’aval pétrolier demeure le parent pauvre des politiques publiques. Pendant que l’on investit des centaines de milliards dans des rachats spectaculaires, aucune avancée sérieuse n’a été enregistrée sur la modernisation de Sogara ou la mise en place d’une chaîne de valeur locale.
Le mirage de la souveraineté énergétique pourrait bien s’évanouir à mesure que les échéances de remboursement approchent. Si ces opérations ne s’accompagnent pas d’un véritable pilotage industriel, d’une redistribution équitable des ressources, et d’une transparence contractuelle totale, elles risquent de n’être qu’un changement cosmétique de propriétaire. Le drapeau peut changer, mais sans contrôle sur les flux et les marges, le pouvoir réel reste ailleurs.