
Libreville, le 2 Mai 2025 – (Dépêches 241). Le chiffre de 93,25% de marchés publics attribués en 2025 sans appel d’offres aurait pu susciter un électrochoc. Il n’a provoqué qu’un soupir embarrassé au sein de l’administration gabonaise. Car au-delà de l’indignation de façade exprimée en Conseil des ministres, ce taux n’a cessé d’augmenter depuis le début de la transition militaire, censée pourtant mettre fin aux dérives de l’ancien régime et ce aux nez et à la barbe de Brice Clotaire Oligui Nguema, aujourd’hui président de la République mais hier président du Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI). En réalité, ce glissement vers le gré à gré massif s’est accentué sous la Transition, avec la bénédiction implicite et parfois même explicite des plus hautes sphères du pouvoir.
Hier pourtant président du Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI), le Chef de l’Etat Brice Clotaire Oligui Nguema désormais Président de la République, Chef du gouvernement, s’étonne du fait que le CTRI pendant la Transition ait attribué près de 94% des marchés publics par entente directe. C’est en substance une des informations à retenir de la récente table ronde des Conseil des Ministres.
Pourtant, il n’est pas difficile d’identifier les grands gagnants de ce contournement organisé. Des sociétés comme Ebomaf, Sacba TP, Mika Services, BMC Architecture ou Le Roi des Chantiers, dont certains responsables sont proches du régime actuel, se sont vues attribuer des marchés colossaux, souvent sans mise en concurrence. Pour certaines, leur émergence sur la scène publique coïncide étrangement avec l’arrivée des autorités de Transition, comme si le passage de relais à la tête de l’État avait miraculeusement favorisé l’apparition de nouveaux champions nationaux. Des entreprises quasi-inconnues hier, devenues incontournables aujourd’hui, souvent spécialisées dans les travaux publics, un secteur où la transparence reste une fiction.
Le problème ne se limite plus à un défaut de procédure. Il traduit un système où l’accès aux marchés publics est verrouillé par des réseaux d’influence, des alliances discrètes et des accords de coulisse. La loi n’est plus un cadre, mais un décor. Et derrière les chiffres, ce sont des milliards de francs CFA d’argent public qui s’évaporent dans des contrats souvent surfacturés, mal exécutés, voire non réalisés. Pendant ce temps, les PME sérieuses, locales, structurées, continuent d’être écartées. La commande publique n’est plus un levier de développement : c’est une rente.

Face à cela, Brice Clotaire Oligui Nguema et le gouvernement font mine de redécouvrir l’urgence. On parle de « responsabilisation », de « simplification des procédures », d’« encadrement renforcé ». Mais où étaient ces bonnes intentions ces deux dernières années, quand les ministères se livraient à une course aux décaissements dans l’opacité la plus totale ? Que faisait la Direction générale des marchés publics, censée garantir la régularité des procédures ? Où sont les audits ? Où sont les sanctions ? Que faisait le CTRI ?
La réalité est brutale : la transition militaire n’a pas nettoyé le système, elle l’a reconfiguré. Quelques visages ont été changés, remplacés par quelques nouveaux bénéficiaires, mais les pratiques ont été perpétuées. Peut-être même se sont-elles aggravées, sous couvert d’un « moment exceptionnel de refondation » qui a permis tous les raccourcis. Ce chiffre de 93,25 % est moins une anomalie qu’un révélateur. Il ne dit pas seulement l’échec des réformes : il crie l’urgence d’un sursaut que personne, aujourd’hui, ne semble prêt à incarner.