Déguerpissements à Libreville: La modernisation au bulldozer, l’humain sacrifié

Un drame social sous prétexte de progrès pour la construction d’une Citée Administrative alors que la 1ere n’est toujours pas achevée ©DR

Libreville, le 14 Juin 2025 – (Dépêches 241) Les bulldozers n’ont pas seulement rasé des maisons à Plaine-Orety, ils ont aussi broyé des vies, des souvenirs, des projets de familles entières. Au nom d’une modernisation galopante, le gouvernement gabonais a lancé une opération de déguerpissement d’une brutalité rare, justifiée par la construction d’une nouvelle cité administrative. Mais derrière les discours sur le « Gabon meilleur » et la lutte contre le mal-logement, se cache une réalité bien plus sombre : des milliers de citoyens jetés à la rue, alors même que la première cité administrative, Émeraude, attend toujours d’être achevée.

Depuis le 2 juin, Plaine-Orety et ses environs vivent au rythme des engins du Génie militaire, encadrés par les forces de sécurité, qui démolissent sans relâche habitations et commerces. Les autorités invoquent la nécessité de libérer des terrains pour le « boulevard de la Transition » et la future cité administrative, censés moderniser la capitale et réduire les embouteillages. Mais la modernisation, ici, rime avec désolation : familles à la belle étoile, colère, incompréhension et sentiment d’abandon généralisé. 

Le gouvernement, par la voix de Laurence Ndong, se contente de déplorer le préjudice et de rappeler que « les administrations restent très attentives au respect des droits en vigueur ». Un discours qui sonne creux face à la réalité des expulsions manu militari, sans solution de relogement digne pour les victimes.

Une légalité contestée, des droits piétinés

La légalité de ces déguerpissements est loin de faire l’unanimité. Si la loi gabonaise autorise l’expropriation pour utilité publique, elle impose aussi une indemnisation préalable et le respect de procédures strictes. Or, de nombreux habitants affirment n’avoir reçu ni notification officielle, ni compensation. Un député a même signalé qu’une décision de justice en cours demandait une expertise cadastrale, ignorée par les bulldozers. Résultat : des droits fondamentaux, comme le droit à un logement décent, foulés aux pieds au nom d’un intérêt général à géométrie variable.

La cité Émeraude, symbole d’un gâchis administratif

Le paradoxe est d’autant plus criant que la première cité administrative, Émeraude, lancée en grande pompe en 2024, n’est toujours pas livrée. Les travaux, annoncés comme achevés à 90% fin 2024, peinent à franchir la ligne d’arrivée. Ce projet, censé regrouper les ministères et faire économiser à l’État jusqu’à 30 milliards de francs CFA par an, est devenu le symbole d’une modernisation à marche forcée, où l’on détruit avant même d’achever ce qui a été commencé.

Modernisation ou fuite en avant 

À chaque opération de déguerpissement, le gouvernement promet un avenir radieux, des économies pour l’État, une ville moderne. Mais à quel prix ? Celui de la brutalité sociale, de la précarisation de milliers de familles, et d’une défiance grandissante envers des autorités jugées sourdes et insensibles. L’Union Nationale, principal parti d’opposition, exige une enquête parlementaire sur cette opération « d’une rare violence ». Mais les bulldozers, eux, ne s’arrêtent pas pour écouter les cris.

L’humain, variable d’ajustement du béton
À Libreville, la modernisation se fait au bulldozer, sans égard pour les plus vulnérables. Les discours sur le « Gabon meilleur » masquent mal la réalité d’un pouvoir qui préfère le béton à la dignité humaine. Tant que l’État n’aura pas compris que la modernité ne se construit pas sur des ruines humaines, chaque nouvelle cité administrative ne sera qu’un monument de plus à l’inhumanité ordinaire du progrès à la gabonaise.

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