Le Président aux mille visages spirituels : Oligui Nguema, entre opportunisme et œcuménisme ? 

En embrassant toutes les traditions, Oligui Nguema évite de s’aliéner une partie de l’électorat tout en s’octroyant une aura mystique non négligeable ©ComPrésidentielle

Libreville, le 30 Juin 2025 – (Dépêches 241). Vendredi 27 juin dernier, une scène inédite s’est déroulée devant le Palais présidentiel de Libreville. Brice Clotaire Oligui Nguema, président de la République gabonaise, s’est présenté pieds nus et vêtu d’un blanc immaculé pour assister à la procession sacrée de repentance du peuple Mpongwe. Une image saisissante qui soulève une question brûlante : sommes-nous face à un leader authentiquement œcuménique ou à un politicien rompu à l’art de la récupération spirituelle ?

La valse des appartenances religieuses

L’homme qui dirige le Gabon depuis son arrivée au pouvoir en août 2023 multiplie les casquettes religieuses avec une aisance déconcertante. Élu président de la République en avril 2025, Oligui Nguema navigue entre les traditions avec une fluidité qui interroge et qui interpelle. Fervent catholique selon ses propres déclarations, il n’hésite pas à communier avec les musulmans lors du Ramadan, à participer aux rituels Mpongwe et à s’immerger dans l’univers mystique du Bwiti.

Cette multiplicité des engagements spirituels ne manque pas de surprendre dans un pays où les Mpongwe représentent 15% de la population et où les traditions Bwiti ont été implémentées par les Pygmées Babongo et formalisées par le peuple Mitsogo. Comment un homme peut-il sincèrement embrasser des pratiques aussi diverses, certaines étant fondamentalement incompatibles ?

 L’art de la séduction spirituelle  ?

Le spectacle offert vendredi dernier révèle pour une partie de l’opinion d’une stratégie politique bien rodée. En se dénudant symboliquement devant les gardiens des rituels Mpongwe, Oligui Nguema s’inscrit dans une démarche de légitimation qui dépasse le simple respect protocolaire. Cette participation active aux cérémonies traditionnelles, qu’il avait déjà expérimentée lors de son investiture, témoigne d’une volonté de s’ancrer dans l’âme profonde du Gabon.

Mais cette approche soulève des interrogations légitimes. Les autorités religieuses traditionnelles acceptent-elles vraiment l’intrusion d’un catholique déclaré dans leurs sanctuaires ? Le Bwiti, en tant que « rituel initiatique complexe enraciné dans l’animisme et la vénération des esprits de la forêt », peut-il véritablement cohabiter avec la foi chrétienne sans perdre son essence ?

Les gardiens du temple face au dilemme

L’attitude des communautés religieuses face à cette omniprésence présidentielle révèle un pragmatisme troublant. Les praticiens du Bwiti, dépositaires d’une tradition millénaire, semblent accepter la participation d’un non-initié aux rituels les plus sacrés. Les leaders musulmans accueillent favorablement les gestes du président pendant le Ramadan. Même les autorités chrétiennes ne semblent pas s’offusquer de ces « infidélités » spirituelles.

Cette tolérance généralisée interroge. S’agit-il d’une évolution naturelle vers un syncrétisme religieux gabonais, ou d’une complaisance liée au statut présidentiel ? Les rites d’initiation Bwiti, traditionnellement réservés aux jeunes hommes et femmes gabonais qui prennent l’iboga pour la première fois, peuvent-ils s’accommoder de la présence d’un président déjà formé dans une autre foi ?

L’œcuménisme ou l’opportunisme ?

La question centrale demeure : Oligui Nguema est-il guidé par une authentique quête spirituelle œcuménique ou par un calcul politique bien pensé ? Dans un Gabon où cinquante ethnies cohabitent, l’approche inclusive du président peut séduire. Elle peut aussi masquer une forme d’opportunisme déguisé en tolérance religieuse.

Oligui Nguema semble avoir trouvé sa formule : être tout pour tous, quitte à ne rien être de précis pour personne ©ComPrésidentielle

L’homme qui a promis de « bâtir » un Gabon nouveau semble avoir compris que sa légitimité passe aussi par l’adhésion spirituelle de ses concitoyens. En embrassant toutes les traditions, il évite de s’aliéner une partie de l’électorat tout en s’octroyant une aura mystique non négligeable.

Ces questions qui dérangent 

Cette stratégie multi-religieuse soulève des interrogations dérangeantes. Comment les fidèles de chaque confession peuvent-ils accorder leur confiance à un leader qui semble jouer sur tous les tableaux ? Les traditions ancestrales ne risquent-elles pas d’être galvaudées par cette récupération politique ? Et surtout, cette approche ne contribue-t-elle pas à banaliser des pratiques sacrées qui méritent respect et authenticité ?

Le spectacle de vendredi dernier, aussi photogénique soit-il, illustre parfaitement cette ambiguïté. Un président pieds nus dans le blanc traditionnel, mais dont les intentions véritables restent opaques. Une image qui symbolise peut-être la nouvelle gouvernance gabonaise : entre tradition et modernité, entre sincérité et calcul, entre unité et instrumentalisation.

Dans un pays en quête de repères après des décennies de pouvoir familial, Oligui Nguema semble avoir trouvé sa formule : être tout pour tous, quitte à ne rien être de précis pour personne. Une stratégie audacieuse qui pourrait bien définir son mandat, mais qui laisse planer de sérieux doutes sur la sincérité de ses convictions spirituelles.

Qu’à cela ne tienne, l’avenir dira si cette valse des appartenances religieuses relève de la sagesse politique ou de l’opportunisme le plus cynique. 

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