
Libreville, le 8 avril 2025 – (Dépêches 241). Depuis la chute d’Ali Bongo, les nouvelles autorités du CTRI promettaient une gouvernance exemplaire. Le projet du candidat indépendant Oligui Nguéma prétend ainsi faire des marchés publics un vecteur de développement et non plus une source de prédation. Digitalisation des procédures, plateforme unique, notation des entreprises, priorisation des PME locales : la rhétorique est séduisante. Mais sur le terrain, rien n’indique une volonté de rompre avec les pratiques anciennes. Bien au contraire, le système semble s’être reconfiguré autour de nouveaux acteurs, sans transparence ni cadre normatif contraignant.
Un cas emblématique illustre ce retour ce désordre organisé : l’entreprise burkinabè Ebomaf, déjà controversée sous le régime Bongo, s’est arrogée plusieurs chantiers stratégiques sans appel d’offres publics. Routes, voiries, bâtiments administratifs, Ebomaf rafle tout, dans une opacité totale, défiant les règles élémentaires de concurrence. Où est la fameuse plateforme numérique promise ? Où sont passés les avis d’appel d’offres ? En réalité, le CTRI semble perpétuer un système de marchés de gré à gré, où les entreprises proches du pouvoir bénéficient d’un traitement préférentiel. L’absence d’explications officielles, combinée à un silence complice des organes de contrôle, jette une lumière crue sur les failles de cette « nouvelle gouvernance ».
Pire encore, les institutions censées veiller à la régularité des procédures que sont l’ARMP, la Cour des comptes, ou l’Inspection générale des finances, brillent par leur inaction ou leur instrumentalisation. Aucune enquête publique n’a été menée sur les conditions d’attribution des récents marchés d’infrastructure. Aucun rapport d’audit n’a été publié depuis le début de la transition. Pourtant, les dépenses d’investissement exécutées sans justification prolifèrent, et les entreprises gabonaises continuent d’être marginalisées, faute d’accès à l’information ou de favoritisme politique.
D’autres pays africains montrent pourtant que la transparence est possible. Le Bénin, par exemple, a mis en ligne l’intégralité de ses appels d’offres, avec des données ouvertes sur les adjudicataires, les montants, et les délais d’exécution. Le Gabon, à l’inverse, continue de fonctionner comme une économie de rente où les marchés publics sont distribués comme des butins de guerre. Le CTRI n’a toujours pas publié la liste des marchés signés depuis septembre 2023, ni justifié les critères d’attribution. Comment parler de rupture dans ces conditions ?
En définitive, le projet de réforme des marchés publics porté par le CTRI ressemble à une opération de communication destinée à rassurer les bailleurs de fonds et les citoyens, sans réelle volonté de transformation. Tant que les mêmes réseaux d’influence contrôleront l’attribution des marchés, tant que les organes de contrôle seront muets, et tant que la presse sera dissuadée d’enquêter, aucune digitalisation ne suffira à masquer la continuité du pillage organisé. La rupture tant vantée ressemble à un miroir aux alouettes, pendant que les élites réaménagent leur système de captation des ressources publiques.