Gabon: souveraineté pétrolière : choix stratégique ou priorité politique ?

Les nouvelles autorités semblent déterminées à renforcer la souveraineté énergétique en rachetant plusieurs entreprises pétrolières, la stratégie sera t-elle payante ? © DR

Libreville, le 10 avril 2025 – (Dépêches 241). Depuis 2024, l’État gabonais a engagé des sommes considérables pour renforcer sa souveraineté énergétique en rachetant plusieurs entreprises pétrolières. En juillet 2024, il a acquis Assala Energy pour 648 milliards de francs CFA, augmentant la production nationale gérée par la Gabon Oil Company (GOC) de 26 000 à 70 000 barils par jour. Puis, en mars 2025, il a déboursé 181 milliards de francs CFA pour les actifs gabonais de Tullow Oil, portant la production totale à 82 000 barils par jour. À première vue, ces acquisitions s’inscrivent dans une logique de reprise en main des ressources nationales, mais elles posent aussi des questions sur l’arbitrage budgétaire du pays. 

Le pétrole, bien que stratégique, est une ressource volatile dont la rentabilité dépend fortement des fluctuations du marché mondial. En investissant plus de 800 milliards de francs CFA en moins d’un an pour racheter des actifs pétroliers, le Gabon mise sur un secteur en déclin à long terme, alors que la transition énergétique mondiale réduit progressivement la demande en hydrocarbures. Par ailleurs, ces acquisitions ne garantissent pas une augmentation significative des revenus de l’État, car la gestion des champs pétroliers implique des coûts élevés d’exploitation et de maintenance. Le choix de privilégier l’or noir au détriment d’autres secteurs soulève ainsi des interrogations sur la diversification économique du pays.

Dans ce contexte, la non-intervention de l’État gabonais dans le rachat de la Société Meunière et Avicole du Gabon (SMAG) apparaît comme un paradoxe. Alors que la souveraineté énergétique est mise en avant comme un impératif national, la souveraineté alimentaire, tout aussi cruciale, semble reléguée au second plan. Avec une production annuelle de 75 000 tonnes de farine et 40 millions d’œufs, la SMAG joue un rôle clé dans l’approvisionnement du pays. Pourtant, au lieu de sécuriser cet actif stratégique, l’État a laissé un groupe ivoirien s’en emparer. Cette absence d’initiative interroge : pourquoi mobiliser des milliards pour le pétrole et ne pas investir une fraction de cette somme pour garantir l’autonomie alimentaire du Gabon ?

D’un point de vue budgétaire, le contraste est frappant. Le rachat de la SMAG aurait représenté un investissement bien moindre que celui réalisé dans le secteur pétrolier. Il aurait également permis à l’État d’exercer un contrôle direct sur la production et la distribution de denrées essentielles, réduisant ainsi la dépendance du pays aux importations et aux décisions d’un acteur privé étranger. Le désintérêt du gouvernement pour ce secteur pourrait indiquer un manque de vision stratégique à long terme ou une volonté délibérée de maintenir un modèle économique tourné vers l’exportation de matières premières plutôt que vers l’autosuffisance.

En définitive, le choix de privilégier le pétrole au détriment de l’agro-industrie traduit une approche discutable de la souveraineté économique. Si l’objectif est de garantir l’indépendance nationale, il ne peut se limiter à un seul secteur. Une souveraineté réelle implique une gestion équilibrée des ressources et une diversification des investissements. En négligeant la filière alimentaire au profit du pétrole, le Gabon pourrait se retrouver à long terme dans une situation où il possède les moyens d’extraire du brut, mais pas ceux de nourrir sa population. 

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