
Libreville, le 30 mai 2025 – (Dépêches 241). À minuit pile, comme un mauvais présage, l’électricité s’évapore dans les quartiers de Libreville. Les ventilateurs se taisent, les réfrigérateurs plongent dans le coma, et avec eux s’évanouissent les dernières illusions d’une capitale moderne. Neuf heures ou 10 heures plus tard, quand le courant daigne revenir, une question brûle sur toutes les lèvres : que s’est-il vraiment passé ?
Il y a quelques semaines à peine, le Président Brice Clotaire Oligui Nguema promettait la fin du calvaire énergétique. Les délestages semblaient appartenir au passé. Puis vint l’annonce fracassante: l’État gabonais reprend les rênes de la SEEG. Un retour aux sources qui devait sonner comme une libération. Aujourd’hui, c’est plutôt le glas qui résonne. Voilà bien le Gabon dans toute sa splendeur: pays pétrolier qui peine à éclairer sa capitale, nation riche en ressources naturelles où les habitants scrutent anxieusement leurs téléphones pour deviner l’heure du prochain blackout. L’ironie est si amère qu’elle en devient comique.
Le paradoxe gabonais
Dame SEEG a encore frappé, plaisantent amèrement les Librevillois sur les réseaux sociaux. Derrière ce trait d’humour se cache une résignation qui fait mal. Car enfin, que faut-il comprendre ? Que la gestion privée était défaillante, mais que la gestion publique l’est tout autant ? Que changer de propriétaire ne suffit pas à rallumer les lumières ?
Les vraies questions dérangent
Personne n’ose formuler l’hypothèse qui dérange: et si cette recrudescence des pannes n’était pas qu’un simple concours de circonstances ? Et si quelqu’un, quelque part, avait intérêt à démontrer que la nationalisation était prématurée ? Les coïncidences, en politique, sont souvent suspectes. Ou alors, plus prosaïquement, la transition révèle-t-elle l’ampleur des dégâts ? Des années de sous-investissement, d’entretien bâclé, de solutions de fortune qui explosent dès qu’on y touche ? Dans ce cas, l’État hérite d’un château de cartes près à s’effondrer.
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L’électricité, révélateur social
Chaque coupure de courant raconte une histoire. Celle des quartiers huppés qui retrouvent rapidement la lumière, et des zones populaires qui patientent, transpirent dans l’obscurité. Celle des entreprises qui investissent dans des groupes électrogènes pendant que les familles modestes voient leurs aliments pourrir dans des réfrigérateurs éteints et leurs appareils tomber en panne, sans aucune compensation de la part de la SEEG.
L’électricité divise autant qu’elle unit. Elle sépare ceux qui peuvent s’en passer de ceux qui en dépendent. Elle révèle, dans ses absences répétées, les fractures d’une société qui peine à offrir l’essentiel à tous ses citoyens.
L’urgence d’agir
Les explications techniques ne suffiront plus. Les promesses non plus. Les Gabonais attendent des actes, des investissements massifs, une vision à long terme. Ils méritent mieux que ces va-et-vient entre lumière et obscurité qui rythment leur quotidien comme une torture moderne. Car derrière chaque délestage, il y a une entreprise qui ferme plus tôt, un étudiant qui ne peut réviser, un malade qui souffre dans un hôpital aux générateurs défaillants. Derrière chaque coupure, il y a un pays qui recule quand il devrait avancer.
Le défi est clair: soit l’État assume pleinement sa responsabilité et transforme la SEEG en outil de développement, soit il avoue son impuissance et cherche d’autres solutions. Mais qu’il cesse de jouer avec la patience d’un peuple qui mérite enfin de voir le bout du tunnel. Un tunnel qui, pour l’heure, reste désespérément sombre, comme le Grand Libreville qui se drape de noirceur à minuit pile.