Mont-Bouët le grand marché des expatriés: l’injustice invisible qui ronge les commerçants gabonais ? 

Vue aérienne du Marché de Mont-Bouët © DR

Libreville, le 29 août 2025 – (Dépêches 241). Dans les travées bondées de Mont-Bouët, un marché emblématique souvent perçu comme le cœur battant de l’économie locale, se joue une scène méconnue mais ô combien révélatrice des rapports de force qui façonnent la vie quotidienne des commerçants gabonais. Ici, loin des regards indiscrets et de la circulation habituelle, un système de location de places commerciales, organisé et pourtant opaque, perpétue une forme d’assujettissement économique orchestré par des gestionnaires expatriés, imposant une hiérarchie rigide et des loyers fixes difficiles à contourner.

Selon de nombreux commerçants rencontrés, Madame Bintou et Afissa, deux femmes expatriées, seraient les principales figures de ce réseau. À Mont-Bouët, elles détiennent chacune un espace qu’elles louent inlassablement, sans concession, à 5 000 francs CFA par jour—un prix standard et immuable qui s’applique à tous les vendeurs, quels que soient leurs moyens ou leurs produits. Ce tarif, loin d’être un simple chiffre, symbolise une charge économique constante, une petite tyrannie quotidienne qui étrangle les commerçants locaux.

Plus troublant encore, cette organisation se cristallise autour d’un rapport de pouvoir tacite : Madame Bintouf et Afissa ne sont pas seulement des « loueuses » de places, elles représentent une sorte d’autorité économique quasi institutionnelle, perçue par les locataires comme des « patronnes », à qui sont versés des montants qui ont l’allure d’un double prélèvement. Outre le loyer officiel, certains commerçants évoquent des paiements additionnels, qualifiés d’« impôts » ou d’ « obligations », qui nourrissent ce système de dépendance invisible. Ceux-ci confient qu’ils reversent parfois 3 000 francs ou 5 000 francs à une hiérarchie parallèle, renforçant un sentiment d’asservissement volontaire mais inéluctable.

Les taxes, elles, bien que réclamées formellement par les autorités, semblent intégrées au paiement que gèrent exclusivement les deux gestionnaires principales, faisant ainsi basculer les vendeurs dans un entrelacs d’obligations où la transparence est un luxe. Lorsque les journalistes demandent des éclaircissements, Madame Bintouf fait le silence, laissant planer l’opacité et l’incompréhension. Un compatriote, cependant, confirme la version des commerçants, renforçant l’idée que ce système n’est pas le fruit d’un malentendu passager, mais d’une organisation pérenne.

Au-delà des chiffres et des noms, cette situation pourrait illustrer une dynamique plus large: la domination économique d’un groupe d’expatriés au sein d’un marché supposé être un espace ouvert et démocratique, où chaque Gabonais pourrait librement prospérer. Ce marché, souvent décrit comme d’utilité publique, se transforme progressivement en un théâtre d’iniquités silencieuses, où la faiblesse apparente d’un commerçant local devient le levier d’une mainmise économique sans équivalent.

Mont-Bouët devient ainsi le symbole d’un paradoxe, entre ouverture économique et enfermement social, entre coexistence culturelle et rapports de pouvoir inégalitaires. Pour le Gabonais qui vend son pain ou ses légumes, ces loyers et taxes informelles ne sont pas de simples chiffres: ils sont la preuve tangible que la liberté de commerce est parfois illusoire, et que derrière la façade animée du marché, se cache un système où l’exil et l’économie se mêlent pour façonner une forme de domination discrète.

Un commerce dont la nature dérange, dans un marché qui devrait incarner la diversité et la mutualité, mais qui laisse se creuser un fossé entre locataires et gestionnaires, entre pouvoir et précarité. Jusqu’à quand les commerçants gabonais accepteront-ils de devenir des sous-locataires dans leur propre pays ? La manifestation de cette réalité pourrait bien être le point de départ d’un réveil nécessaire.

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