Libreville, le 1er novembre 2024 – (Dépêches 241). Dans le contexte politique actuel du Gabon, marqué par des débats vifs engendrés par la présentation du projet de Constitution au Président de la Transition par la Ministre en charge de la Réforme des Institutions, le Cabinet d’étude indépendant Biangg a décidé de mener une enquête d’opinion auprès de la population. Cette démarche a pour but de recueillir les perceptions et avis des citoyens sur ce projet qui est devenu un enjeu central des discussions nationales.
Détachée des passions et des partis pris qui influencent le débat actuel, l’étude menée par le cabinet indépendant Biangg vise à fournir une analyse fondée sur les réponses des principaux acteurs concernés, à savoir la population, ainsi que sur leurs aspirations pour l’avenir de la Nation. Cette étude se veut rigoureusement objective, et s’inscrit dans une démarche scientifique reposant sur la collecte de données sur le terrain. Les données ont été recueillies par le biais d’un questionnaire diffusé sur diverses plateformes en ligne et d’entretiens en face à face menés par des enquêteurs spécialisés.
Les Gabonais vivant aussi bien au Gabon qu’à l’étranger devaient répondre aux questions suivantes : 1. Avez-vous lu les conclusions du dialogue national inclusif qui s’est tenu du 2 au 30 avril 2024 ?
2. Savez-vous qu’il y aura prochainement un référendum vous appelant à voter “oui” ou “non” à la nouvelle Constitution?
3. Quelle serait, selon vous, la durée idéale d’un mandat présidentiel?
4. Êtes-vous pour la suspension des partis politiques pendant la période de Transition?
5. Pensez-vous qu’on doit être Gabonais de souche (être né de père et de mère gabonais) pour briguer la présidence de la République?
Les Gabonais qui se sont prêtés à l’exercice ont par la suite été classés par catégorie d’âge, genre, situation professionnelle, niveau d’étude et ville de résidence pour l’analyse.
Résultat de l’enquête et interprétation :
La population étudiée dans cette recherche est principalement composée d’individus ayant un niveau d’études universitaires, représentant 85,47 % de l’échantillon. Parmi eux, les hommes constituent 66,10 %, ce qui indique la proportion d’hommes dans l’échantillon total. De plus, la population est majoritairement jeune, avec 26,16 % des participants âgés de 26 à 35 ans et 45,99 % âgés de 36 à 45 ans. Le tableau ci-dessous présente un résumé des résultats obtenus.
Tableau 1 :
Moyenne (%) | Retraités | Chômeurs | Religieux | Femmes | |
1 | Non : 68,09 | Non : 100% | Non : 61,29 | Non : 0 | Non : 65,43% |
2 | Oui : 80 | Oui : 100 | Oui : 67,74 | Oui : 100 | Oui : 62,5 |
3 | 5 ans : 61,64 | 5 ans : 100 | 5 ans : 80 | 5 ans : 80 | 5 ans : 61,25 |
7 ans :15,09 | 7 ans :0 | 7 ans :9,68 | 7 ans :20 | 7 ans :12,50 | |
4 | Oui : 48,31 | Oui : 0 | Oui : 58,06 | Oui : 80 | Oui : 58,02 |
5 | Oui : 74,58 | Oui : 55,56 | Oui : 60 | Oui : 55,56 | Oui : 76,54 |
Les résultats de l’étude montrent que plus de 68% des Gabonais n’ont pas lu le rapport conclusif du DNI malgré sa population très éduquée. Aussi, la diaspora souvent très informée et pédagogue sur les questions politiques au Gabon n’a que 29,17% de ses participants qui dit avoir pris connaissance des conclusions du DNI. Les Gabonais sont donc appelés à voter sur un projet constitutionnel issu des conclusions d’un dialogue dont ils n’ont pas la connaissance.
La durée du mandat présidentiel donne une majorité (soit 61,64%) préfère un mandat présidentiel de 5 ans, contre 7 ans (soit seulement 15,09%) comme proposé par le CTRI et le groupe favorable au « oui » lors du prochain référendum consultatif. Cela veut dire que l’échantillon de cette étude a voté à 75% contre un mandat présidentiel de 7 ans. Aussi, les retraités qui rencontrent souvent des difficultés à percevoir leur retraités, les chômeurs qui sont majoritairement jeune (40% de chômage des jeunes au Gabon), et les religieux dont l’influence sur la politique au Gabon est de plus en plus non négligeable, ont tous choisi un mandat présidentiel de 5 ans à un peu plus de 80%. La question de la durée du mandat présidentiel reste problématique bien que le CTRI jouisse d’une popularité encore assez élevée auprès de la population.
La question qui divise le plus les Gabonais est la suspension ou non des partis politiques pendant la période de Transition. Sur ce point, 48,31% des participants ont répondu par l’affirmative. Il est donc crucial de noter que près de la moitié des répondants à cette enquête expriment le souhait que le débat sur l’avenir de la nation se tienne loin des influences des partis politiques. Le droit ou non d’être candidat à l’élection présidentielle au Gabon est essentiellement centré sur la question de la nationalité. Le nouveau projet de Constitution stipule, parmi les conditions d’éligibilité à la Présidence de la République, que tout candidat, homme ou femme, doit être né de parents gabonais, eux-mêmes d’origine gabonaise, et maîtriser au moins une langue locale. Notre étude montre que bien que cette mesure crée des tensions et des discussions difficiles, les Gabonais y adhèrent à près de 75 % (voir tableau).
Dans l’histoire de cette jeune Nation, la question de la nationalité de ses dirigeants a toujours suscité des débats. Cela remonte au président Omar Bongo Ondimba, que beaucoup soupçonnent d’être originaire de la République Centrafricaine, et plus récemment à son fils, Ali Bongo Ondimba. Plusieurs figures politiques et notables du pays affirment qu’il aurait été adopté pendant la guerre civile du Biafra au Nigeria, qui s’est déroulée du 6 juillet 1967 au 15 janvier 1970. Il est donc possible que le nouveau projet de loi sur les conditions d’éligibilité à la présidence soit perçu comme un « vote sanction » contre la famille Bongo, et plus spécifiquement contre l’ex-président Ali Bongo Ondimba.
Ce Projet pourrait également être perçu comme visant à exclure certains candidats bénéficiant d’une assise électorale significative, tels qu’Alexandre Barro Chambrier, dont la mère est d’origine étrangère. De même exclure des personnes comme Dénis Bongo Ondimba dont une partie de la population, nostalgique du père voyait en lui, en raison de sa ressemblance avec son père, un candidat potentiel lors de la dernière élection présidentielle.
Conclusion et perspectives :
À la lumière des résultats de cette étude et de la conjoncture politique actuelle au Gabon, le référendum apparaît comme le premier acte de suffrage universel du président de la Transition, Brice Clotaire Oligui. Les résultats de ce scrutin sont donc interprétés comme un vote de confiance envers lui. Dans ce contexte politique complexe, il serait difficile de dissocier les résultats du référendum de la prochaine élection présidentielle, au cours de laquelle l’actuel président de la transition pourrait enfin obtenir une légitimité internationale par le biais du suffrage universel. Bien que le projet de loi demeure méconnu par une partie des Gabonais et que certaines de ses dispositions soulèvent déjà des questions légitimes, le président de la transition et le CTRI continuent d’être perçus comme des libérateurs. Ils bénéficient ainsi d’une certaine popularité.
De plus, la majorité des acteurs politiques et de la société civile, présents sur les médias d’État, se sont déjà engagés dans une campagne en faveur du « oui » au référendum, et ce, même avant que le texte ne soit officiellement adopté par le parlement. Cette dynamique s’est amorcée avant même que le projet ne soit porté à la connaissance du public. Malgré le fait que les résultats de cette étude ne permettent pas de déterminer si les Gabonais voteront pour le « oui » ou le « non » au référendum, il apparaît néanmoins que plusieurs points essentiels du projet de constitution ne correspondent pas aux aspirations des participants à cette enquête. Il en ressort clairement que la question référendaire sera perçue comme un vote de confiance envers le président de la transition.
Dr. Brice W Obiang Obounou, Président-Directeur général
Dr. Herbert Mba Aki, Vice-Président