
Libreville, le 28 mai 2025-(Dépêches 241). La perte des îles Mbanié, Cocotiers et Conga, actée par le verdict de la Cour Internationale de Justice (CIJ) le 19 mai 2025 dernier, a provoqué une onde de choc au Gabon. Face à la vague d’indignation nationale, le Sénat a convoqué en urgence, lundi 26 mai, les ministres Régis Onanga Ndiaye (Affaires étrangères) et Hermann Immongault (Intérieur). Objectif affiché, clarifier la position de l’État et rassurer une opinion publique déboussolée. Mais au-delà de la solennité institutionnelle, cette audition a-t-elle vraiment été à la hauteur de l’enjeu, ou n’était-elle qu’une opération de communication dans le but de gagner du temps ?
La décision de la CIJ, fondée sur la Convention franco-espagnole de 1900, a attribué les îles contestées à la Guinée-Équatoriale, validant les titres coloniaux espagnols au détriment des revendications gabonaises. Pour beaucoup de Gabonais, il s’agit d’une amputation territoriale vécue comme un drame national, voire une « catastrophe » selon certains responsables politiques. Le Sénat, saisi par l’émotion populaire, a donc choisi d’interpeller les ministres pour « édifier l’opinion publique » et obtenir des explications sur les suites à donner à ce revers diplomatique.
Un choc de souveraineté, une audition sous pression ?
Entre pédagogie et manœuvre politique lors de l’audition, le Ministre des Affaires Étrangères a insisté sur la nécessité de préserver les relations bilatérales entre les deux pays tout en évoquant la piste d’un dialogue entre experts pour parvenir à un règlement à l’amiable. Il a également annoncé une vaste campagne de communication pour informer les populations. Mais cette approche, axée sur la pédagogie et l’apaisement, suffit-elle à répondre à la gravité de la situation ?
Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la pertinence d’une telle convocation, alors même que la décision de la CIJ s’impose juridiquement et que les marges de manœuvre semblent étroites. Le Sénat, en cherchant à obtenir « une position claire du Gouvernement » sur d’éventuels recours, ne risque-t-il pas de nourrir de faux espoirs ou de détourner l’attention des véritables enjeux, comme la renégociation des frontières maritimes ou la défense des intérêts économiques liés aux ressources pétrolières de la zone ?
Le Gabon est désormais face à ses responsabilités. L’audition des ministres intervient dans un contexte où la stabilité sous-régionale et la souveraineté nationale sont en jeu. La CIJ a certes tranché la question des îles, mais a aussi laissé en suspens la délimitation des frontières maritimes, invitant les deux pays à négocier. Le véritable défi pour le Gouvernement gabonais est donc de transformer ce revers en opportunité de dialogue, tout en préservant l’unité nationale et en évitant les surenchères populistes. « La responsabilité de transformer ce jugement en une solution politique durable pèse désormais sur les épaules des dirigeants gabonais », résume un analyste.
Audition: nécessité démocratique ou diversion ?
En définitive, la convocation des ministres par le Sénat répond à une exigence démocratique de transparence et de redevabilité. Mais elle pose aussi la question de l’efficacité réelle de cette démarche, dans un dossier où la marge de manœuvre nationale est limitée par le droit international. Le risque est grand que cette audition ne serve qu’à calmer la rue, sans apporter de solution concrète aux défis posés par la redéfinition des frontières et la gestion des ressources stratégiques.
La question demeure : le Sénat gabonais saura-t-il dépasser le stade de l’interpellation rituelle pour impulser une véritable stratégie nationale, ou restera-t-il prisonnier d’une posture défensive, au risque de laisser le pays dans l’incertitude et la frustration ? Les gabonais restent en attente de réponses claires sur l’ensemble de ces questions.