
Libreville, le 30 mai 2025 – (Dépêches 241). L’explosion meurtrière survenue le 20 mars 2024 sur la plateforme offshore de Becuna, exploitée par Perenco au large du Gabon, continue de faire des vagues. Ce drame, qui a coûté la vie à six employés – quatre Gabonais, un Camerounais et un Français – a été remis au centre de l’attention par un rapport accablant de l’Environmental Investigation Agency (EIA), consulté par Le Monde. L’ONG y accuse le groupe pétrolier franco-britannique de négligence grave : absence d’équipements de sécurité essentiels, incidents non signalés en amont, pression constante sur les équipes pour maintenir les niveaux de production. Un cocktail explosif, au propre comme au figuré.
Le rapport va même plus loin : il évoque des tentatives présumées de dissimulation, des pressions sur les témoins et un pot-de-vin de 65 000 dollars pour entraver la vérité. Pour l’EIA, la responsabilité de Perenco est non seulement technique, mais aussi morale. L’organisation dénonce sans détour une culture d’entreprise dominée par l’obsession de la rentabilité, au détriment des conditions de sécurité et de travail. Une accusation d’autant plus grave que Perenco est devenu un acteur central de l’industrie pétrolière gabonaise, opérant dans des champs vieillissants, avec des pratiques jugées souvent opaques.
LIRE AUSSI: Gabon : épinglé par l’ONG Environmental Investigation Agency, Perenco protégé par la justice gabonaise ?
Face à la tempête médiatique et à l’indignation croissante, Perenco n’a pas tardé à contre-attaquer. La Chambre africaine de l’énergie (CAE), par la voix de son président exécutif NJ Ayuk, a pris la défense du groupe, accusant l’EIA de « tirer parti d’une tragédie pour faire avancer un agenda idéologique ». Selon la CAE, Perenco a agi de manière responsable après l’accident, en activant les secours, en informant les autorités et en soutenant les familles des victimes. L’organisation insiste également sur les investissements massifs du groupe au Gabon, notamment dans le terminal gazier de Cap Lopez (2 milliards de dollars), et rappelle que Perenco est l’un des plus gros contributeurs fiscaux de la zone CEMAC.
Mais derrière cette défense pour le moins huilée à souhait, se cache une réalité plus embarrassante : l’image d’un géant pétrolier qui semble avoir sous-traité sa communication de crise à une organisation africaine présentée comme indépendante, mais dont la proximité avec les intérêts de l’industrie est notoire. Perenco, en quête de légitimité, s’appuie sur cette instance pour redorer son blason sans répondre directement aux accusations précises de l’EIA. Aucune réponse officielle du gouvernement gabonais n’a été formulée à ce jour, laissant un vide politique dans un dossier aussi sensible que symbolique de la relation trouble entre l’État et les majors de l’énergie.
Cette affaire pose désormais une question centrale : dans quelle mesure les multinationales opérant en Afrique peuvent-elles échapper aux exigences de transparence, sous couvert d’investissements et d’emplois ? Et comment expliquer que, plus d’un an après l’incident, aucun audit public indépendant n’ait été publié par les autorités gabonaises ? Tant que les responsabilités ne seront pas établies clairement, le doute persistera. Et ce n’est pas une campagne de communication, aussi bien orchestrée soit-elle, qui dissipera les ombres autour de Perenco au Gabon.