PPP bois: vers des zones franches forestières déguisées ?

Le ministère des Eaux et Forêts et la société ETBG ont signé, le 11 juillet 2025, un ambitieux Partenariat Public‑Privé (PPP) afin de lancer une unité intégrée de transformation du bois au Gabon © DR

Libreville, le 15 Juillet 2025 – (Dépêches 241). Le partenariat signé entre le ministère des Eaux et Forêts et la société ETBG, prévoyant la mise en place d’une unité industrielle de transformation du bois, a été salué comme un pas vers la souveraineté industrielle du Gabon. Le projet intègre l’accès à 50184 hectares de forêt, des engagements sur la chaîne complète de transformation, et des objectifs affichés de création d’emplois et de réduction des exportations de grumes. Pourtant, un examen plus attentif laisse entrevoir un autre scénario : la création progressive de zones franches forestières déguisées.

En octroyant à une seule société un droit d’usage exclusif sur des dizaines de milliers d’hectares, sans mécanisme public clair de redistribution locale ou de redevabilité, l’État prend le risque d’isoler des zones entières du contrôle institutionnel. Cette logique rappelle celle des zones économiques spéciales (ZES), où des régimes juridiques et fiscaux particuliers permettent à des opérateurs d’évoluer dans un environnement dérogatoire. Ici, la forêt devient l’enjeu d’une privatisation silencieuse sous couvert de modernisation industrielle.

Certes, le pays a besoin d’industries de transformation. Mais faut-il pour cela concéder l’accès à la ressource et au foncier, sans garantie de retombées territoriales structurantes ? L’expérience de la ZES de Nkok a montré que, sans gouvernance robuste, ces initiatives peuvent produire une croissance isolée, déconnectée des bassins de vie environnants. À terme, ces « poches industrielles » risquent de fonctionner comme des enclaves : rentables pour les opérateurs, peu profitables pour le pays réel.

Le vrai enjeu est celui de la gouvernance des ressources naturelles. La filière bois a longtemps été marquée par des pratiques de coupes illégales, d’évasion fiscale, et de non-respect des cahiers de charges. Une transformation industrielle durable ne peut se construire que sur une base juridique claire, un contrôle indépendant, et des obligations précises de contenu local et de transfert de technologie. L’accès à la forêt doit être encadré, conditionné et soumis à une reddition des comptes.

Transformer le bois, oui. Mais pas au prix de la souveraineté foncière. L’État doit s’assurer que ces PPP ne deviennent pas des précédents dangereux, ouvrant la voie à une captation discrète de la ressource nationale. Une industrie du bois gabonaise forte ne peut émerger que dans un cadre équitable, transparent et territorialement inclusif. Il est essentiel d’y associer des mécanismes de reddition de comptes indépendants, impliquant collectivités locales et société civile, pour garantir que les bénéfices industriels profitent réellement aux zones concernées. 

De plus, la fiscalité avantageuse ou les exonérations consenties aux investisseurs doivent nécessairement être conditionnées à des clauses strictes de développement local et de transferts de compétences. Sans cela, le risque est que ces zones de transformation deviennent des entités autonomes, détachées du modèle économique national et exemptes de responsabilité vis-à-vis des communautés sur le terrain.

Par ailleurs, une question de fond demeure: quelle est la véritable origine de la société ETBG? Contrairement à des acteurs historiques comme la SNBG, fondée en 1976 et revenue sous contrôle de l’État fin 2024 suite à un audit parlementaire, ou des entreprises certifiées comme SEEF ou Precious Woods, ETBG opère dans une relative opacité. Aucune information publique claire n’existe sur son actionnariat, ses antécédents ou ses partenariats internationaux ce qui soulève des questions légitimes : s’agit-il d’un groupement local porté par des intérêts privés assumés, ou d’un montage étranger rebaptisé ?

D’où vient le capital, et quelles obligations ce partenaire assume-t-il en matière de traçabilité, de pratiques sociales et environnementales ? Face à l’importance des concessions et à la valeur du bois transformé, le gouvernement doit impérativement éclaircir ces zones grises, afin d’éviter une nouvelle forme de dilution de la souveraineté nationale dans l’exploitation de notre patrimoine forestier.

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