Vème République: comme la nouvelle Constitution, la récente loi sur les Partis politiques sournoisement modifiée ?

Une disposition de la Loi sur les Partis Politiques et non des moindres a-t-elle insidieusement été modifiée © DR

Libreville, le 30 juillet 2025 – (Dépêches 241). Depuis la prise du pouvoir par les militaires le 30 août 2023, nombreux sont les Gabonais qui espéraient une rupture nette avec les pratiques opaques de l’ancien régime. Pourtant, presque deux ans plus tard, des signaux inquiétants tendent à montrer que les mêmes méthodes sont toujours à l’œuvre, avec parfois la même rigueur. C’est ce que dénoncent plusieurs observateurs de la vie politique nationale, dont Judith Lekogo, après la découverte d’une modification unilatérale de la nouvelle loi sur les Partis politiques. Selon elle, cette version promulguée serait différente de celle adoptée en session parlementaire.

En ce début de Cinquième République, le principe de la séparation des pouvoirs soulève de graves interrogations sur l’état réel de la démocratie gabonaise sous le nouveau régime. En court-circuitant les représentants du peuple, quoique nommés pour l’instant, l’Exécutif actuel foule au pied l’indépendance du législatif, réduit à un simple théâtre d’ombres. Pire, cette manœuvre entame gravement la confiance du peuple envers les Institutions censées le représenter. Sous couvert de réformes, le pouvoir semble entretenir le culte de l’opacité, loin de la promesse d’un État de droit fondé sur la transparence et la légitimité populaire.

C’est ce que relève avec une certaine amertume teintée de déception, la députée de la Transition Justine Lekogo s’est insurgée sur la modification de l’article 72 de la Loi relative aux Partis Politiques du 27 Juin 2025. « Anomalie à l’article 72 nouveau. Il convient de signaler une irrégularité d’une extrême gravité dans la version récemment promulguée et publiée de la loi modifiée relative aux partis politiques, en particulier à l’article 72 nouveau », signale-t-elle avant de poursuivre « en effet, la version adoptée en séance plénière par l’Assemblée nationale imposait expressément aux partis politiques existants l’obligation de justifier d’un minimum de 10 000 adhérents, chacun dûment identifié par un Numéro d’Identification Personnelle (NIP). Or, cette disposition majeure a été supprimée dans le texte publié au Journal officiel, sans qu’aucune modification en ce sens n’ait été soumise ni approuvée par le Parlement », a-t-elle écrit sur sa page Facebook. 

Cette situation ressemble à s’y méprendre et rappelle étrangement le scandale autour de la nouvelle Constitution votée le 16 novembre 2024. Ce texte, censé refonder la République sur de nouvelles bases de l’Etat de droit et de la démocratie, aurait lui aussi été modifié en catimini avant sa promulgation. À l’époque déjà, des voix s’étaient élevées pour dénoncer un texte taillé sur mesure pour conforter la position des militaires au pouvoir. Or, si la loi fondamentale de la République peut être ainsi altérée dans l’ombre, c’est l’ensemble de l’édifice institutionnel qui vacille. 

Dans l’opinion, le doute s’installe: les engagements pris lors du Dialogue National Inclusif sont-ils vraiment tenus ? Le Président Oligui Nguema, souvent accusé de ne retenir des recommandations du DNI que celles qui servent ses intérêts politiques immédiats, voit sa parole de plus en plus contestée. La modification clandestine de la loi sur les Partis politiques alimente un sentiment de trahison. Beaucoup y voient une tentative à peine déguisée de régenter le jeu politique avant les prochaines échéances électorales.

Le paradoxe est cinglant. Les militaires avaient justifié leur coup d’État par le refus de la manipulation institutionnelle pratiquée par le régime d’Ali Bongo. Or, voici qu’eux-mêmes reproduisent, sans gêne, les méthodes qu’ils ont si violemment condamnées. La promesse d’un « changement de paradigme » ressemble de plus en plus à une opération de communication destinée à anesthésier une population en quête de justice et de vérité.

Le peuple gabonais, qui avait accueilli avec espoir la chute du régime Bongo, se sent aujourd’hui de plus en plus désabusé. En acceptant Oligui Nguema comme Chef de l’Etat, beaucoup pensaient tenir un nouveau départ. Mais les pratiques en cours nourrissent une inquiétude croissante: et si le changement n’était qu’une illusion ? Une interrogation d’Ali Bongo, jadis moquée, revient avec insistance dans les débats : « Vous croyez que ce sont les Bongo le problème du Gabon ? Attendez de voir si les successeurs feront mieux », avait-il déclaré à Jeune Afrique. À s’y méprendre, beaucoup seraient tentés de donner raison à l’ex Chef d’État.

Face à cette dérive manifestement assumée, la passivité des parlementaires, ceux-là même qui ont adopté la loi dans sa forme initiale, ajoute de la désillusion. Leur silence face à cette falsification post-adoption entérine l’image de chambres d’enregistrement sans âme ni conviction souvent accrochées au Parlement Gabonais. Dans ces conditions, la Cinquième République gabonaise, malgré les apparences, semble donc se contenter de changer les hommes sans changer les pratiques. Et cela, pour un peuple qui aspire à la justice, à la transparence et à la démocratie incarnée dans un véritable état de droit, est peut-être la trahison la plus insupportable. 

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