Transition: de la nécessité d’une justice transitionnelle pour  sauver l’âme du Gabon

La Justice Transitionnelle est impératif dans cette transition © DR

Libreville, le 27 Février 2024 – (Dépêches 241). Le 30 août 2023, le gouvernement d’Ali Bongo Ondimba est déposé par un pouvoir militaire, issu des différentes branches armées des forces de Défense et de sécurité, dont la Garde républicaine, qui officiait jusque-là, comme une véritable garde prétorienne au service de la Présidence de la République et ses affidés. Ce coup de force marqua la fin d’un régime dynastique vieux de plus de 55 ans et régnant sans discontinuité sur le Gabon, sa population, sa destinée et ses ressources. 

Indépendamment des appréhensions des uns et des autres sur les motivations et les objectifs de ce coup d’État , il va sans dire qu’il s’est accompagné d’un fort soutien populaire, comme si la meilleure façon de restaurer les institutions – objectif officiel de l’organe de transition – consistait à les renverser brutalement, et ce par un pouvoir militaire censé en être le pilier. Depuis, nombreuses furent les décisions qui ont été prises par le Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI). Toutes ont pour but de « redorer le blason » de la République, selon l’expression consacrée. L’une d’elles et assurément l’une des plus importantes manque à l’appel, celle devant ouvrir la voie à une justice transitionnelle. Pourquoi une justice transitionnelle ? En quoi consiste-t-elle ? Quels en sont les objectifs ? En quoi diffère-t-elle d’une justice courante ? Ces questionnements font de cette justice, une impérieuse nécessité encore plus dans le cas du Gabon, pays traversé par des vents contraires et incertains.

En effet, les derniers mois depuis la prise de pouvoir se sont accompagnés par une médiatisation des personnalités du régime déchu impliquées dans les scandales politico-financiers, notamment une ex-Première dame et d’autres hauts fonctionnaires. Si de telles arrestations ont été saluées, elles semblent en réalité ne pas avoir touché le cœur du système institutionnel gabonais. Bien au contraire, le plus médiatique d’entre eux – celui lié à l’arrestation de Madame Sylvia Bongo Ondimba – présentée comme la matrice de tous les maux du Gabon depuis quelques années, celle à l’origine du malheur des Gabonais. Dans tout ce malstrom informationnel, a-t-on un tant soit peu recherché la vérité sur les maux qui minent les institutions gabonaises ? Quid des responsabilités de chacun ?  

Les réponses à ces questions paraissent évidentes tant les mécanismes de recherche de la vérité n’ont pas permis d’analyser ni de comprendre les causes profondes des crises post-électorales avec leur lot de victimes mortifères qui ont plongé le Gabon dans l’incertitude systématique, la régression économique et politique. Ces crises sont la manifestation d’une faiblesse institutionnelle, d’une répression politique à outrance et une verticalisation du pouvoir, qui fait des élections, un gadget, que l’on mobilise afin de montrer patte blanche, sans que l’on y accorde une quelconque importance.

Parvenir à une justice transitionnelle équivaut à mettre des mots sur des esprits ébouillantés et tourmentés par des décennies de convulsions politiques et de retournements de vestes. Deux générations entières pour être exact. La justice transitionnelle est d’autant plus nécessaire dans le contexte gabonais, que la justice pénale et les commissions parlementaires sont inexistantes. En effet, la société gabonaise demeure marquée par la corruption et le clientélisme au plus haut sommet de l’Etat. Ce dernier continue à se rendre coupable de graves violations des droits de l’homme, qu’elles aient été commises dans un contexte de répression électorale, comme ce fut le cas depuis 1998 ou dans le cadre de l’expression des opinions politiques. 

La justice transitionnelle a été expérimentée d’abord et en particulier dans les pays qui ont connu des guerres civiles, des génocides, de longues dictatures ou l’apartheid. Néanmoins, sa légitimité et sa nécessité ne peuvent être questionnées dans le cas du Gabon. Elle est d’abord légitime, car elle permettrait d’ouvrir les pages sombres de notre histoire et relever les importantes questions qui se posent quant à la manière de reconnaître ces violations des droits humains. Elle est ensuite légitime, puisqu’elle s’attachera à satisfaire les demandes légitimes de justice énoncées par les populations, puis de prévenir l’occurrence et la récurrence de faits similaires et enfin, restaurer le tissu socio-ethnique des communautés tout en construisant des institutions durables.

La justice transitionnelle est donc cette impérieuse discipline qui nous invite à nous regarder en face, et ce durant toute la période de transition, peu importe le temps qu’elle durera. On pourrait parler de « justice de rattrapage » différente de la justice pénale, car comprenant des mesures juridiques et non politiques. 

La justice de transition attendue pour le Gabon poursuivra quatre principaux objectifs :

1)- Lutter contre une culture de l’impunité en désignant toutes les responsabilités puis juger de tous les crimes du passé, exceptionnels par leur ampleur ou leur caractère systémique et dont les responsables n’ont jamais été poursuivis ni jugés ;

2)- Accompagner la transition vers des changements constitutionnels, institutionnels et législatifs profonds, solides et stables à très long terme afin de garantir une non-répétition ;

3)- Reconstruire un Etat de droit, restaurer la confiance des populations dans la capacité de l’Etat à rendre justice en leur nom et s’employer à lutter contre les abus de droit et d’autorités, les violences, les crimes sexuels, rituels et financiers etc. ;

4)- Réparer et accompagner les victimes lésées et oubliées des crises et leurs familles. Les réparations peuvent être matérielles ou non matérielles. Matérielles, par un accompagnement financier des familles des victimes du 26 août 2016, considéré comme la plus violente répression politique de l’histoire moderne du Gabon. 

De même, comme pistes non matérielles, l’accès public aux archives nationales par le vote d’une loi puis la mise en place de commissions mixtes paritaires composées de parlementaires – essentiellement- et de la société civile sur les évènements de la mandature précédente. Pourraient s’y greffer, les initiatives commémoratives, en l’occurrence celles de la présidentielle de 2016 ou d’autres événements du passé. Ce ne sont là que des pistes de réflexion. Nonobstant, force est de constater que le cours des décisions politiques actuelles ne poursuit guère le chemin d’une recherche de la vérité, de poursuites judiciaires exemplaires et impersonnelles, des réparations, et dans une moindre mesure des réformes institutionnelles appropriées.

Bien au contraire, semble se dessiner une « justice de compromissions » qui privilégie la négociation. Dans ce type de systèmes, les institutions qui aboutiront, seront des institutions de compromis politique, oblitérant le processus d’établissement des

responsabilités et des faits, tout en faisant l’impasse sur le plus important : construire des sociétés et des contre-pouvoirs suffisamment solides pour réduire le risque de violations graves des droits de l’homme, de monarchisation du pouvoir et de la kleptomanie.

In fine, la justice transitionnelle est la mieux adaptée pour s’attaquer aux facteurs de risque associés aux renversements anticonstitutionnels de gouvernement dès lors que chacune des composantes de celle-ci peut jouer un rôle dans la prévention des crimes les plus graves. D’un autre côté aussi, la recherche de la vérité par la déclassification des archives, permettrait de restituer les faits, d’obtenir une base factuelle pour les débats et viendrait en appui à la création d’une plateforme d’expression publique et de travaux scientifiques. 

Ce faisant, se créeront des garanties de non-répétition puisque par voie de conséquence, il convient de s’attaquer aux causes profondes et immédiates ayant conduit à la situation du 30 août 2023. Au-delà des réformes institutionnelles, qui comprennent les réformes constitutionnelles et la réforme du secteur de la justice et de la sécurité, ces propositions peuvent concerner des changements dans les programmes d’histoire au collège et au lycée. Il s’agit assurément du premier véritable travail de longue haleine que ce pays pourrait s’infliger à lui-même et avec pour objectif en ligne de mire: sauver l’âme du Gabon.

Loin de présenter ce propos comme une voie à suivre, cette analyse s’évertue au contraire à regarder avec pragmatisme les dégâts causés par l’absence d’une telle démarche alors qu’au même moment s’évanouit une partie de la mémoire collective émotionnelle du peuple, comme emportée par le flot des promesses ondoyantes. 

NKA-OBIANG Edmond

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