Les paradoxes du Dialogue National Inclusif: entre monolithisme et ouverture, qu’en attendre ?

Le Président de la Transition en présence des Membres du bureau du Dialogue National © DR

Libreville, le 30 mars 2024 – (Dépêches 241). En 2015, Wilson N’Dombet, publia « Processus électoraux et immobilisme politique au Gabon (1990-2009) ». Dans celui-ci, l’éminent professeur passait en revue les échecs des différentes consultations électorales au Gabon à la suite de la Conférence nationale de 1990, qui s’était tenue du 1er mars au 19 avril 1990 à Libreville. Pour lui, elle n’avait servi à rien car « il ne s’était rien passé »: ni au sommet du pouvoir, ni dans le quotidien des Gabonais, ni dans le fonctionnement des institutions encore moins dans la prospérité économique que la démocratie à l’occidentale ferait émerger pour le pays.

Quatre ans plus tard, nous eûmes les Accords de Paris 1994, le Référendum de 1996, les Accords d’Arambo de 2006. Puis, du 28 mars au 26 mai 2017, le président Ali Bongo organisa également son « Dialogue national d’Agondjé ». Nous sommes désormais sûrs qu’il ne s’est rien passé non plus, puisque ce dialogue, faisant suite à la contestation électorale de 2016, ouvrit la voie à un mini-dialogue politique en février 2023, qui lui-même conduira en août 2023, à une forte contestation électorale et à un coup d’Etat militaire. 

En 2024, parce que l’histoire a tendance à se répéter lorsque les hommes n’en tirent pas de leçons, le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, nous préparant au dialogue national d’avril, a ainsi décidé de convier à la table, la quasi-totalité de la classe politique actrice de la Convention de 1990, dont deux personnalités emblématiques septuagénaires représentées, Jacques Adiahenot et Jean-François Ntoutoume Emane, pour ne citer que ceux-là. Cette décision revêt un caractère tout aussi mercantile et clientéliste que les précédentes initiatives. Au-delà de ces personnalités, s’ajoute un consortium de religieux et de politiques vieillies, surreprésentés sur qui une population jeune doit fonder ses espoirs d’avenir. S’y ajoute des représentants de militaires en surnombre dont l’objectif est de phagocyter les débats. Et comme s’il cela ne suffisait pas, le vice a été poussé à son paroxysme lorsque le Gouvernement a décidé d’octroyer plus de délégués spéciaux des Conseils départementaux et Communes aux provinces du Haut-Ogooué et de la Ngounié, alors que l’Estuaire, province qui abrite la moitié de la population gabonaise dispose de 4 représentants des départements et 7 représentants des communes.

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Loin de souhaiter vitupérer sur cette énième convocation et ses déséquilibres, il convient de prendre appuie sur l’histoire du continent afin de montrer par des exemples concrets pourquoi il ne faudrait rien attendre de cette dernière, sinon un nouvel immobilisme politique. Il faut dire que ces assemblées politiques ont eu des résultats mitigés dans la vie de la Cité. Sur une trentaine de pays en Afrique ayant engagé le gadget des « conférences nationales souveraines » de grande envergure, seuls moins d’une dizaine ont eu – et ce dans une moindre mesure – des résultats tangibles à posteriori: l’Afrique du Sud (le plus emblématique); le Rwanda (post-génocide); et la Sierra-Leone (post guerre civile). Dans ces trois pays, les dialogues nationaux ont succédé à des mécanismes de justice transitionnelle ouvrant la voie à des réformes institutionnelles majeures. La justice transitionnelle a pu établir des faits, engager des responsabilités, indemniser des victimes, juger des coupables. L’idée de faire passer le dialogue national avant les commissions Vérité et Réconciliation telle qu’annoncée par la Ministre de la Réforme des institutions pose dorénavant la question du succès de ce dernier. Quid des auteurs des contestations électorales sanglantes de 2009 et 2016 ? Quid des auteurs présumés de malversations financières de ces quinze dernières années et même de ces trente dernières années ? Quid de la responsabilité du Parti au pouvoir qui a géré le Gabon la moitié d’un siècle ? Quel pays souhaite construire si la justice n’a pas été rendue ? 

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Depuis plus de trente ans, aucune élection n’a abouti à un vainqueur non contesté. C’est-à-dire, une génération au moins de Gabonais ignore quels furent réellement les résultats des différentes échéances électorales depuis le début du siècle. Pis encore, nous ignorons les véritables résultats sortis des urnes  d’août 2023. Des milliards de Francs CFA d’argent public jetés à la poubelle sans qu’aucune commission d’enquête parlementaire ne soit mise en place ; sans qu’aucune procédure judiciaire majeure ne soit diligentée contre les thuriféraires du régime précédent. Bien au contraire, les loups sont sortis du bois, ont été blanchis et sont désormais porteur d’une « nouvelle jeunesse » ! En regardant plus récemment au Sénégal, le président Macky Sall eut engagé il y a quelques mois un énième dialogue politique pour résoudre des crises…crises dont il était lui-même l’architecte, cristallisant les frustrations, après avoir été dans l’opposition. Parce que les Sénégalais sont un Peuple suffisamment mature, et les institutions suffisamment fortes pour tenir face à un homme fort, des élections ont été organisées, et un nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, a été élu cinquième président de cette jeune République. 

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Nous pourrions donner une litanie d’exemples. Force est de constater que trente-quatre ans après de nombreux échecs, trente-quatre ans après la chute de l’Union Soviétique et l’avènement du libéralisme économique – et son relatif délitement depuis 2022 -; mais surtout vingt ans après la révolution numérique, c’est comme si « rien ne s’était passé » pour le Gabon et dans le monde. Comme si, après trente-quatre longues années, nos élites étaient restées figées en 1990, et que s’éveillant, décidèrent de construire le Gabon des trente-quatre prochaines années avec les acteurs des trente-quatre dernières années. C’est comme si après trente quatre longues années nous n’avons pas pris la mise des échecs des dialogues nationaux, qui ont été plus les instruments d’un pouvoir que l’expression d’une volonté populaire. Car les Conférences nationales ne doivent pas décider uniquement de la forme de l’État, des relations entre institutions et du contrat social entre Gouvernants et Gouvernés. Bien au-delà, elles doivent décider de ce qu’est que le Gabon – ou de ce que le Gabon souhait être – en tant que Nation au XXIème siècle, sa  place singulière en Afrique et dans le monde, la perception qu’elle a d’elle même, la capacité qu’elle aura à user de ses ressources humaines afin de bâtir une Nation prospère, juste et ouverte sur les autres avec une identité en tant que peuple et non comme il en est actuellement, un échantillon de diversités ethniques partageant un même pays. 

Gageons dans ce cas que les consultations qui doivent débuter sous peu tiendront leurs promesses en reformant des institutions qui n’ont jamais joué leur rôle, en supprimant celles inefficaces comme le Sénat, le Conseil Économique et Social ou la Cour des comptes. Surtout, il serait nécessaire pour ce pays de se diriger vers une séparation stricte des pouvoirs, avec en prime la suppression de l’hyper-présidentialisme, qui crée un culte de l’omnipotence, de l’omniprésence et de l’omniscience pour un seul homme.

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En définitive, l’heure n’est ni aux propos inquisitoires, ni accusatoires, mais à une approche critique et évaluative de nos systèmes institutionnels. L’époque se prête d’ailleurs à une telle réflexion critique et prospective du pays, alors que l’ordre international né de cette période disparaît progressivement. Certes, l’expérience de ces trois dernières décennies est faite d’acquis et d’appropriation incontestables mais aussi de crises politiques, économiques, et institutionnelles majeures et de conflits. L’idée serait d’interroger les différents constitutionnalistes adoptés depuis la première conférence du genre en 1990, qu’il faut souligner a été imposée aux Gabonais de façon verticale. 

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