
Libreville, le 10 Juin 2025 – (Dépêches 241). Le spectacle est saisissant, presque irréel. Là où résonnaient encore, il y a quelques semaines, les éclats de voix et les rires d’enfants, ne subsistent plus que des ruines, des gravats, des silhouettes hagardes errant entre les vestiges de ce qui fut leur vie. Plain-Orety, quartier populaire niché derrière l’Assemblée nationale et les ambassades de Chine et de Russie à Libreville, n’est plus qu’un champ de désolation. Ici, la fête a laissé place à la tragédie, la vie à la survie. Bref…, à un drame social.
Tout commence avec l’annonce du projet « Boulevard de la transition », une voie express censée relier le camp de Gaulle à la Baie des Rois. Sous couvert de modernisation, les autorités ont lancé une opération de déguerpissement d’une brutalité rare. Engins de chantier escortés par des gendarmes armés, démolitions à la chaîne, familles jetées à la rue sans ménagement : le rêve urbain vire au cauchemar pour des milliers de riverains.
Les images, insoutenables, rappellent celles de Gaza après des tirs d’obus ou d’Haïti après un ouragan. Des adultes et des enfants, hagards, tentent de sauver quelques biens : matelas sur la tête, bassines sous le bras, meubles entassés à la hâte dans des camionnettes qui s’alignent, interminables, le long du Boulevard Triomphal. La guerre n’est pas déclarée, mais la violence est bien là, institutionnelle, implacable, mentale et émotionnelle.
Un silence assourdissant au sommet de l’État
Face à la détresse, les appels à l’aide se multiplient. Mais du côté du pouvoir, c’est le silence radio. Le chef de l’État, si prompt à clamer sa foi et sa proximité avec le peuple durant la transition, se mure désormais dans une réserve glaciale. Les populations de Plain-Orety, sommées de quitter leur maison en deux jours, n’ont d’autre choix que de dormir à la belle étoile, livrées à elles-mêmes.
Pour justifier l’opération, le ministre des Travaux Publics et le Délégué Spécial multiplient les interventions médiatiques creuses. Selon eux, « les habitants de cette zone n’ont pas de documents de propriété légaux » et « toutes ont été indemnisées il y a quinze ou trente ans ». Mais sur le terrain, les témoignages contredisent cette version : beaucoup affirment être propriétaires depuis bien avant 2015 et n’avoir jamais reçu la moindre indemnisation. D’autres admettent avoir perçu une compensation… partielle, l’État leur promettant de solder le reste avant la destruction – promesse jamais tenue.
« Nous n’avons pas reçu l’indemnité en totalité. Ils nous ont donné une partie et ont informé qu’ils nous donneraient le reste plus tard, avant la destruction », confie un riverain, amer.
Des zones de relogement fantômes
Au-delà de la légitimité de l’opération, une question brûle toutes les lèvres : où sont les terrains viabilisés promis aux familles déguerpies ? Les autorités évoquent, du bout des lèvres, les quartiers PK9 et Awoungou, censés offrir eau, électricité et routes praticables. Mais sur le terrain, ces promesses semblent relever du mirage. Les familles déplacées n’ont pas vu la couleur de ces nouveaux logements, et l’incertitude règne.
Une opération coup de poing, une population sacrifiée ?
Pourquoi une telle précipitation ? Pourquoi aucune concertation réelle, aucune solution humaine ? Les autorités exigent même que les déguerpis « reconnaissent d’abord leur tort » avant toute négociation pour un délai supplémentaire. Une humiliation de plus, dans un processus déjà marqué par la violence et l’opacité.
Aujourd’hui, Plaine-Orety n’est plus qu’un souvenir, une blessure ouverte dans le cœur de Libreville. Ses habitants, dépossédés, errent à la recherche d’un toit, d’une réponse, d’un peu d’humanité. Pendant que les bulldozers avancent, implacables, la ville moderne se construit sur les ruines d’une communauté sacrifiée, sur les larmes, la détresse et la dignité des populations.
Dans le silence assourdissant des autorités en tête desquelles Brice Clotaire Oligui Nguema, une question demeure : à qui profite ce progrès qui laisse derrière lui tant de vies brisées ?