
Libreville, le 11 Juin 2025 – (Dépêches 241). L’affaire judiciaire visant Hervé Patrick Opiangah, ancien ministre des Mines et homme d’affaires influent au Gabon, s’enlise depuis plus de sept mois dans une procédure aux contours opaques et aux motivations politiques apparentes. Ce dossier, qui aurait dû être rapidement classé faute de preuves, cristallise aujourd’hui les inquiétudes sur l’indépendance réelle de la justice gabonaise et sa possible instrumentalisation au service du pouvoir exécutif.
Dès le départ, l’affaire Opiangah a suscité de fortes interrogations. L’accusation principale, une affaire de mœurs, a été formellement contestée par la supposée victime, qui a même déposé plainte en diffamation contre les instigateurs des accusations. Les avocats de M. Opiangah dénoncent une absence totale de plainte initiale, insidieusement rattrapé par une plainte déposée le 25 novembre soit 5 jours après le déclenchement de l’action publique. Se greffe à ces faits d’une gravité inouïe, un défaut de qualité du plaignant – agissant pour le compte d’une majeure de plus de 30 ans -, des dates erronées dans le dépôt des accusations, et surtout l’absence de preuves tangibles et de constitution des faits. Le parquet, malgré ces évidences, a maintenu les poursuites, conduisant à un rejet controversé de la demande de non-lieu par la Chambre d’accusation, au motif formel et contesté de la non-comparution de l’inculpé.
Un dossier vide maintenu artificiellement en vie
Cette décision va à l’encontre de l’article 163 du Code de procédure pénale gabonais, qui stipule clairement qu’en l’absence de charges suffisantes, il doit être prononcé un non-lieu. Pour l’Union pour la Démocratie et l’Intégration Sociale (UDIS), parti politique dirigé par Opiangah, ce maintien des poursuites est une « hideuse machination politico-judiciaire » et une violation flagrante de la présomption d’innocence. Même son de cloche chez un magistrat du Synamag. « Au regard de toute la procédure, c’est-à-dire de la première convocation émise par la police judiciaire – sans aucune plainte – au rejet par la Chambre d’accusation de la demande du non-lieu, tout porte à croire que les magistrats en charge de ce dossier ont reçu des instructions précises de nuire, par tous les moyens, à la personne d’Opiangah. La preuve : pour une affaire d’inceste inventée de toutes pièces, le Procureur de la République a voulu insidieusement introduire une tentative d’atteinte à la sécurité intérieure qu’il a eu du mal à prouver », a-t-on pu lire chez notre confrère de l’Objectif.
Une justice à deux vitesses et aux ordres du pouvoir
L’affaire révèle une justice gabonaise à plusieurs vitesses. Tandis que Sylvia Bongo et son fils Noureddin Bongo Valentin ont bénéficié d’une libération rapide, Hervé Patrick Opiangah reste sous le coup de poursuites sans fondement, illustrant un traitement au faciès. Selon plusieurs magistrats et membres du Syndicat National des Magistrats du Gabon (Synamag), la justice ne jouit pas d’une indépendance réelle dans les dossiers sensibles, et les magistrats reçoivent des instructions directes du sommet de l’exécutif pour orienter les procédures judiciaires. Dans le cas HPO, tout porte à croire que seule la présidence peut dénouer le nœud gordien de cette affaire. « Les magistrats attendent l’ordre du Chef de l’État pour déclarer un non-lieu, l’arrêt des poursuites et un retour sécurisé d’Hervé Patrick Opiangah parmi les siens », a révélé un magistrat à notre confrère.
Ce constat est corroboré par les avocats de HPO, qui dénoncent un usage abusif des forces de l’ordre et de la justice pour persécuter un opposant politique. Depuis novembre 2024, des perquisitions musclées ont été menées au domicile et dans les entreprises de l’ancien ministre, provoquant des pertes d’emplois et un climat d’intimidation. Cette instrumentalisation de la justice est perçue comme une tentative d’éradication politique déguisée en procédure pénale.
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Face à cette situation, Hervé Patrick Opiangah a saisi la Commission africaine des droits de l’Homme, espérant faire reconnaître ses droits et dénoncer ce qui porte tous les atours du « complot politique ». Cette démarche traduit la défiance grandissante envers les institutions judiciaires nationales, jugées inopérantes et inféodées.
Conséquences pour l’État de droit et la démocratie gabonaise
L’affaire Opiangah est devenue un révélateur brutal des failles du système judiciaire gabonais et de la fragilité de la séparation des pouvoirs. La justice, au lieu d’être un arbitre impartial, apparaît comme un bras de l’exécutif au service d’intérêts politiques, ce qui érode la confiance des citoyens et ternit l’image du Gabon sur la scène internationale.
Le maintien des poursuites malgré l’absence de charges et de preuves, la manipulation apparente des procédures et la politisation des jugements soulèvent un débat urgent sur la nécessité d’une réforme profonde du système judiciaire gabonais. Sans une justice indépendante, le Gabon risque de s’enliser dans une spirale d’injustice et de conflits politiques, avec des conséquences lourdes pour la stabilité et la démocratie.
La justice gabonaise à la croisée des chemins
L’affaire Hervé Patrick Opiangah illustre à quel point la justice gabonaise est aujourd’hui prise en otage par des enjeux politiques. Une justice parasitée par un pouvoir qui agit aux antipodes du discours de la Ve République et qui s’effrite sous le poids de la contrainte de l’exécutif, qui sans sourciller, viole allègrement les principes de la règle de droit.
Entre procédures biaisées, décisions contestables et pressions politiques, elle trahit les principes fondamentaux d’un État de droit. La balle est désormais dans le camp des autorités gabonaises et du président Brice Clotaire Oligui Nguema, qui doivent choisir entre perpétuer cette instrumentalisation ou restaurer une justice indépendante, garante des droits et libertés de tous les Gabonais.
Sans cette volonté politique, la justice restera un théâtre d’ombres où la vérité et la justice ne seront que des mots creux, et où les procès politiques continueront de masquer les luttes de pouvoir internes.