
Libreville, 11 Juin 2025 – (Dépêches 241). Le Président gabonais, doté de « pleins pouvoirs » par la nouvelle Constitution, observe un silence troublant face aux expulsions forcées, inhumaines et attentatoires à la dignité de ses compatriotes qui frappent plusieurs quartiers populaires de Libreville.
Dans les ruelles défoncées de Plaine-Orety, les pelleteuses font leur œuvre destructrice sous l’œil impassible des forces de l’ordre. Derrière elles, ne subsistent que décombres et détresse humaine. Des familles entières se retrouvent à la rue, leurs maigres biens dispersés dans la poussière de ce qui fut leur foyer. Une scène devenue banale dans la capitale gabonaise, où les opérations des déguerpissements indécents se multiplient sans que le Chef de l’État ne daigne s’exprimer sur ce drame social qui touche ses propres concitoyens, quelques mois seulement après qu’il ait été plébiscité par ces derniers.
Pourtant, Brice Clotaire Oligui Nguema n’a jamais été aussi puissant. Après avoir fait adopter la nouvelle Constitution avec 91,8 % des suffrages en faveur du texte, le Président de la Transition, devenu Chef de l’État, dispose désormais d’un arsenal juridique qui lui confère une responsabilité totale sur les affaires du pays. Un texte qui semble avoir été « taillé sur mesure pour permettre à l’actuel homme fort du Gabon, le Général de brigade Brice Oligui Nguema, d’enfiler le costume civil d’un Président doté d’hyper pouvoirs ».
Un silence assourdissant face à la détresse
Face aux déguerpissements et démolitions entrepris « manu militari » dans certains quartiers de Libreville, une opération perçue par beaucoup comme un « drame social, voire une déshumanisation », le Palais présidentiel cultive un mutisme qui interroge. Comment celui qui se présente comme le libérateur du peuple gabonais peut-il fermer les yeux sur la souffrance de ses compatriotes les plus vulnérables ?
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Les autorités gabonaises justifient ces expulsions par le « lourd héritage de notre passé commun », une formule creuse qui masque mal l’absence de solutions concrètes pour les milliers de familles concernées. Car derrière cette rhétorique officielle se cache une réalité brutale : des citoyens gabonais chassés de leurs habitations sans alternative viable, sans consultation préalable, sans respect de leur dignité fondamentale, sans indemnisation ou recensement, dans la désinvolture et l’impudence la plus totale.
L’ombre des Bongo plane encore
Ironiquement, ces méthodes expéditives rappellent étrangement celles employées sous l’ère Bongo, cette dynastie que le Général Oligui Nguema prétendait avoir renversée pour « libérer » le Gabon. Depuis les années 1970, les expulsions apparaissent comme « une étape fondamentale dans le processus de restructuration de l’espace de Libreville » , où la réponse du Gouvernement à ce qu’il considère comme une occupation illégale consiste systématiquement à « éradiquer les bidonvilles, déloger les gens par la force puis les reléguer en banlieue ».
La continuité est saisissante. Seuls les acteurs ont changé, pas les méthodes. Le « coup de libération » du 30 août 2023, comme aime à le qualifier le pouvoir actuel, n’a visiblement pas libéré les Gabonais de l’arbitraire et de l’indifférence de leurs dirigeants.
Un Président tout-puissant, mais absent
Cette indifférence présidentielle interroge d’autant plus que la nouvelle Constitution gabonaise concentre tous les pouvoirs entre les mains du Chef de l’État. Le régime ultra présidentiel mis en place fait d’Oligui Nguema l’homme le plus puissant de l’histoire institutionnelle du Gabon. Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités, dit l’adage. Mais où sont les responsabilités quand les plus démunis subissent l’arbitraire étatique ?
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Le contraste demeure saisissant entre l’activisme déployé pour façonner un cadre constitutionnel favorable à ses ambitions politiques et la passivité affichée face aux drames humains qui se jouent dans les quartiers populaires. Oligui Nguema, qui se targuait de vouloir « refonder l’État », semble avoir oublié que cette refondation devrait avant tout servir le peuple en garantissant sa dignité, pas l’inverse.
Des droits humains en question
Cette situation pose des questions fondamentales sur l’état des droits humains au Gabon post-Bongo. Les expulsions forcées constituent une violation flagrante du droit international, rappelée régulièrement par les organisations de défense des droits humains à travers l’Afrique. Pourtant, elles se poursuivent dans l’indifférence générale des autorités gabonaises, sous le poids du silence du numéro un Gabonais en le cautionnant et en s’y accommodant.
Le silence présidentiel sur cette question envoie un message inquiétant : celui d’un pouvoir qui, une fois installé confortablement, peut se permettre d’ignorer la souffrance de ceux qui ne pèsent pas dans la balance politique. Cette attitude fait écho aux critiques formulées contre la nouvelle Constitution, accusée de servir avant tout les intérêts personnels de son principal bénéficiaire.
Une crédibilité en jeu
Pour un dirigeant qui a construit sa légitimité sur la promesse de rupture avec les pratiques du passé, sur sa volonté de redonner sa dignité au Peuple, ce silence face aux déguerpissements représente un véritable test de crédibilité. Comment prétendre incarner le changement tout en perpétuant les méthodes les plus controversées de ses prédécesseurs ?
Le Gabon mérite mieux que cette indifférence institutionnalisée. Les familles expulsées de leurs foyers méritent au minimum une explication, au mieux une solution. Leur Président, fort de ses nouveaux pouvoirs constitutionnels, a tous les moyens d’agir. Le silence de Brice Clotaire Oligui Nguema n’est pas qu’assourdissant, il est également insultant et outrageant.
La mesure d’un dirigeant ne se prend pas à l’aune des pouvoirs qu’il s’octroie, mais à celle de la protection qu’il offre aux plus vulnérables de ses concitoyens. Sur ce terrain-là, Brice Clotaire Oligui Nguema a encore tout à prouver. Et le temps presse, pendant que les pelleteuses continuent leur œuvre destructrice dans l’indifférence du Palais présidentiel, le Chef du Gouvernement et Chef d’Etat s’offre le luxe des voyages internationaux dont l’opinion questionne la priorité, l’importance et la pertinence.