
Libreville, le 16 Juin 2025 – (Dépêches 241). Depuis le début de la Transition politique d’août 2023, les autorités gabonaises ont multiplié les annonces de projets d’infrastructures : routes, voiries urbaines, bâtiments administratifs, logements sociaux, même si aujourd’hui leur avancée reste mitigée. Cependant, la grande majorité des marchés, pour un montant cumulé estimé à plus de 500 milliards de FCFA, a été attribuée à des entreprises étrangères, principalement Ebomaf (Burkina Faso) ou encore Sacba TP, une autre entreprise Burkinabè. Ce choix interroge la stratégie de souveraineté économique, alors même que le Gabon compte plusieurs PME locales du BTP en quête de croissance et qui étaient censées obtenir des marchés à hauteur de 150 millions de FCFA.
Sous ce nouveau régime, Ebomaf est devenu l’incontournable de la commande publique…sans appel d’offres. Elle pilote la réhabilitation de la voie express Ntoum-Libreville (175 milliards FCFA), le projet routier de la Nationale 1 vers Ndjolé, ainsi que divers chantiers urbains à Libreville et Port-Gentil. La société burkinabè a même obtenu un contrat pour le réaménagement de plusieurs casernes militaires. Ces contrats sont parfois attribués de gré à gré, sans appels d’offres transparents, ce qui soulève des suspicions de favoritisme ou de conflits d’intérêts. Résultat, plus de 93% des marchés en 2025 passés en gré à gré.
Alors que le secteur gabonais du BTP emploie environ 6% de la population active selon des sources autorisées et que plusieurs PME disposent d’un réel savoir-faire, celles-ci peinent à accéder aux marchés structurants. L’État invoque souvent leur supposée incapacité technique, mais sans politique publique de soutien ou de renforcement des capacités, cet argument devient auto-entretenu. En 2024, seulement 12% des marchés publics de plus de 1 milliard FCFA ont été attribués à des entreprises locales, selon des données internes du ministère des Travaux publics. Ce déséquilibre alimente le ressentiment au sein d’une filière pourtant vitale pour l’économie nationale.
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Le recours systématique à des groupes étrangers implique aussi des sorties massives de devises. Les travaux confiés à Ebomaf et Sacba TP, bien que réalisés localement, engendrent le rapatriement de profits à l’étranger et peu de transferts de compétences. De plus, les retards de paiement de l’État, fréquents, exposent le pays à des pénalités contractuelles en devises. Résultat : le Gabon paye cher pour une souveraineté qu’il ne contrôle plus, sans garantie de durabilité ni d’indépendance technique sur ses chantiers les plus structurants.
Une dépendance qui pèse lourd
Peu de détails sont disponibles sur les modalités précises de financement des grands projets confiés à ces entreprises. Certains contrats s’apparentent à du préfinancement privé, où les sociétés avancent les fonds et se remboursent sur les budgets futurs, ce qui constitue une méthode risquée en période de fragilité budgétaire. D’autres projets font appel à des emprunts commerciaux contractés à des taux élevés. Dans tous les cas, l’opacité prévaut, et la Cour des Comptes n’a publié aucun audit sur ces chantiers en 2024. Cette absence de redevabilité empêche une évaluation rigoureuse de l’efficacité de ces investissements.
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En mars 2025, Ebomaf a d’ailleurs posé la première pierre du nouvel aéroport international d’Andeme, situé à environ 60 km de Libreville, pour un coût évalué à 220 milliards FCFA. Ce projet, qualifié de « structurant » par le Gouvernement, doit inclure un pavillon présidentiel, une piste de 3,5 km et un terminal de dernière génération. Pourtant, il suscite des interrogations : la date de livraison annoncée (2030) semble lointaine pour un pays en quête urgente de résultats. Là encore, aucun débat public n’a eu lieu sur la pertinence économique de ce projet, ni sur les retombées locales escomptées, renforçant la sensation d’un chantier de prestige plutôt qu’un levier de développement durable.
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Le plus inquiétant reste l’absence d’une politique nationale des infrastructures clairement définie. Aucune loi de programmation, aucun schéma directeur sectoriel à long terme ne permet de prioriser les projets selon les besoins réels du pays. Cela aboutit à une logique de prestige ou d’affichage politique au détriment d’une approche rationnelle. La souveraineté économique proclamée par les autorités se heurte à une réalité simple : le Gabon sous-traite ses ambitions structurantes à des partenaires extérieurs, sans contrôle réel, sans transfert de compétence, et sans boussole stratégique. Inquiétant.