
Libreville, le 16 Mai 2025 – (Dépêches 241). Les acteurs de l’institution judiciaire gabonaise semblent se complaire dans l’instrumentalisation politique dont ils sont l’objet depuis des décennies. C’est ce que révèle le désastreux point de presse tenu ce jour par le procureur général près la cour d’appel judiciaire de Libreville, Eddy Minang, relatif à la libération provisoire de l’ancienne première dame Sylvia Bongo Valentin et de son fils Noureddine Bongo Valentin. Cette communication intervient à la suite de la décision controversée du président de la République, chef de l’État, chef du gouvernement, de les envoyer discrètement en exil en Angola, sous la pression du président angolais João Lourenço, également président en exercice de l’Union africaine (UA). Cette déclaration confuse du procureur général, loin d’être rassurante, renforce l’idée d’une justice soumise au diktat du pouvoir politique, adressant un geste phallique au peuple gabonais, perçu encore une fois en dindons de la farce.
Alors que le quotidien gouvernemental L’Union niait, il y a encore quelques jours, la thèse d’une liberté provisoire accordée à Sylvia Bongo Valentin et à son fils Noureddine Bongo, une rumeur, finalement confirmée par la présidence angolaise, révélait leur exfiltration discrète vers Luanda. Celle-ci aurait été autorisée par le président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema. Pris de court, le procureur général Eddy Minang s’est empressé de convoquer un point de presse, non seulement pour confirmer la réalité de cette libération conditionnelle, mais aussi pour clarifier les conditions ayant abouti à cette décision. Toutefois, l’opinion publique, déjà désabusée, estime que l’intervention du magistrat n’a fait qu’ajouter de la confusion à un imbroglio politico-judiciaire des plus opaques.
Le procureur évoque comme justification une double demande d’élargissement provisoire introduite par leur avocate, Maître Eyue Bekale Gisèle, qui s’appuyait sur l’état de santé préoccupant de ses clients. Il déclare : « Le 12 mai 2025, Maître Eyue Bekale Gisèle, avocate au barreau du Gabon, a adressé au procureur général deux demandes d’élargissement provisoire pour le compte de Sylvie Marie Aimée Valentin, épouse Bongo, et de Noureddin Bongo Valentin. Elle alléguait que l’état de santé de ses clients était préoccupant, et produisait à cet effet des certificats médicaux délivrés par le médecin (..) ».
Eddy Minang, toujours dans les salissures ?
Toutefois, si cette libération est réellement motivée par des raisons de santé, pourquoi ces éléments ne sont-ils pris en compte uniquement maintenant, alors que leurs avocats internationaux, qui ont porté plainte contre l’État gabonais en France, n’ont cessé d’alerter sur la santé fragile de leurs clients ? Si tant est que les grossières allégations d’Eddy Minang soient avérées pourquoi c’est en Angola au lendemain de la visite de son président qu’ils ont étrangement fait le choix d’aller suivre leurs soins ? En outre, cette décision émane-t-elle réellement de la justice gabonaise qui aurait décidé de façon autonome ?
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Tout porte à croire que non. Et les explications du procureur, bien que s’appuyant sur le Code de procédure pénale, peinent à convaincre. Mieux, elles trahissent l’attitude d’un régime pris par surprise et de cours par la communication présidentielle angolaise. On en veut pour preuve le point de presse, filandreux, abscons, laborieux qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses à l’opinion. Tout se passe comme s’il a été gribouillé à la vas vite à en juger par les rectifications et annotations faites au stylo qui sèment encore plus le doute.
Pire, ce point de presse, annoncé en grande pompe, a révélé au grand jour le degré de soumission de la justice gabonaise au pouvoir exécutif. Il a également mis en lumière, une fois de plus, l’incompétence notoire du magistrat Eddy Minang , le même qui avait refusé de dire le droit dans l’affaire de la demande de non-lieu formulée par les avocats de Hervé Patrick Opiangah. Comme dans cette affaire impliquant l’homme d’affaires gabonais aujourd’hui en exil forcé, il a préféré manipuler l’opinion publique au lieu de s’affranchir et d’inscrire son nom parmi les hommes d’honneur de la Ve République. D’autant que l’allocution creuse et dénuée de sens du procureur annonçait une libération provisoire devenue caduque dès lors que les intéressés ont quitté le territoire national.
Un doigt d’honneur au Peuple Gabonais ?
Mais au-delà de l’incompétence manifeste de certaines figures de l’autorité judiciaire du pays, cette affaire révèle également la faiblesse structurelle des institutions de la Nation, qui les rend vulnérables aux influences étrangères. Il est inconcevable que le procureur général s’offre au ridicule ainsi pour justifier l’injustifiable, au moment même où le président de la République, en violation de la loi, aurait permis la sortie du territoire national de citoyens gabonais accusés de crimes graves, sur le dos de la justice et par ailleurs détenus de façon préventive pendant près de deux ans. Une détention qui pourrait se transformer en séquestration dont se serait rendu responsable l’Etat Gabonais, vu qu’aucun procès ne les a reconnu coupable d’un fait quelconque.
Il convient de rappeler que Noureddin Bongo Valentin et sa mère sont poursuivis pour : détournement de deniers publics, complicité de détournement de deniers publics, faux et usage de faux, corruption active, concussion, blanchiment de capitaux, complicité de blanchiment, trouble aux opérations d’un collège électoral, recel, contrefaçon du sceau de l’État, contrefaçon des imprimés officiels des institutions, usurpation de titre et de fonctions, et association de malfaiteurs. Des chefs d’accusation d’une gravité extrême, passibles de la prison à vie, que le président de la république aurait troqué contre une réintégration du Gabon à l’Union africaine, organisation souvent qualifiée de « syndicat des chefs d’État », sans impact réel sur la vie des peuples.
Cette affaire illustre avec force l’incapacité du président Brice Clotaire Oligui Nguema à honorer la parole présidentielle, pourtant sacrée dans une démocratie. Elle traduit également un profond mépris envers le peuple gabonais, dont il tient pourtant sa légitimité. En répondant plus promptement aux pressions venues de l’extérieur qu’aux aspirations de ceux qui l’ont porté au pouvoir, le chef de l’État montre que la souveraineté populaire n’est plus qu’un slogan creux comme sous l’ancien régime. Et face à une justice instrumentalisée, un exécutif tourné vers ses propres intérêts, et des institutions fragiles, c’est la crédibilité de tout l’État gabonais qui vacille sous cette Ve République.