
Libreville, le 4 Juillet 2025 – (Dépêches 241). Depuis son arrivée au pouvoir, le général Brice Clotaire Oligui Nguema martèle la nécessité de « reprendre le contrôle de notre économie ». Pourtant, les faits racontent une toute autre histoire. Le récent contrat de 140 milliards de FCFA octroyé à la société ivoirienne Porteo BTP pour la modernisation de l’axe routier Alembe-Mikouyi confirme une tendance inquiétante : la sous-traitance systématique des chantiers stratégiques à des entreprises étrangères. Financé par la BGFIBank, ce projet devient une métaphore cruelle du Gabon, qui finance son propre effacement économique.
Pendant que les milliards quittent le pays sous forme de contrats, le génie militaire gabonais reste en jachère. Cette force technique, historiquement capable de conduire des chantiers complexes, se voit aujourd’hui cantonnée à des missions de destruction de logements. Les subdivisions des Travaux Publics, elles aussi, sont désœuvrées, malgré la compétence de leurs agents et la soif d’engagement des jeunes ingénieurs formés localement. Le contraste est brutal. L’État vante la « compétence nationale », mais la marginalise à chaque marché public.
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Annoncé comme un projet visionnaire et panafricain, Libreville II a été confié à l’architecte sénégalais Pierre Goudiaby Atépa. Présenté comme le symbole d’une Afrique qui construit pour elle-même, ce projet est surtout une grosse claque aux architectes et urbanistes gabonais. Aucun groupement local n’a été mis en avant, aucun consortium d’ingénierie nationale n’a été associé au pilotage. Le Gabon, pays hôte, se retrouve simple terrain de jeu pour des ambitions extérieures. Et cette fois encore, la logique d’importation prévaut sur celle du renforcement des capacités internes.
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Libreville II : le mirage panafricain sur fond d’exclusion locale
Mais la dépossession ne s’arrête pas aux chantiers. Elle s’étend aux centres névralgiques de la décision économique. L’opération de rachat d’Assala Energy, vitrine du « nationalisme pétrolier », a en réalité été orchestrée par l’entremise de Gunvor, un trader suisse très actif sur les marchés africains. Et comme pour verrouiller l’orientation économique du pays, c’est Rothschild & Co, célèbre banque d’affaires internationale, qui a été chargée de piloter la stratégie économique du Gabon. Dans ces conditions, à qui revient réellement la décision ? Où commence, et surtout où finit, la souveraineté ?
Mahamadou Bonkoungou pour les routes et le futur aéroport, Atépa pour la capitale, Dakhlallah et Porteo pour l’emblématique route Alembe-Mikouyi : tous étrangers, tous bien servis. Pendant ce temps, la jeunesse gabonaise, pourtant riche de compétences et de créativité, est réduite à l’attente ou à l’exil. Où sont les appels à projets ouverts aux PME locales ? Où sont les dispositifs de transfert technologique ? Où sont les quotas obligatoires de sous-traitance nationale ? Rien n’est prévu, rien n’est exigé. Oligui parle au nom du peuple, mais gouverne tout seul.
Le discours du nationalisme ne compensera pas l’échec de la réappropriation. Ce nouveau pouvoir aura beau hisser des drapeaux, faire défiler des blindés ou citer Sankara à la tribune, rien ne remplacera une véritable politique de réindustrialisation nationale. Chaque chantier confié à l’extérieur est un aveu d’échec, chaque milliard expatrié est une trahison de la promesse de souveraineté. Si Oligui veut écrire une autre page de l’histoire du Gabon, il devra commencer par tourner le dos à sa « légion étrangère ».