
Libreville, le 23 juillet 2025-(Dépêches 241). Dans un retournement qui illustre à la fois l’improvisation stratégique et les tensions politiques persistantes au sommet de l’État gabonais, le président Brice Clotaire Oligui Nguema, encouragé par une société civile acquise à sa cause, a décidé d’engager une procédure judiciaire contre les membres de l’ancienne famille présidentielle.
Cette plainte déposée au nom de l’État gabonais, aussi bien devant les juridictions nationales que françaises, cible nommément Ali Bongo Ondimba, son épouse Sylvia Bongo Valentin et leur fils Nourreddin. Une initiative qui soulève d’autant plus d’interrogations que c’est le même chef de l’État qui, dans la plus grande discrétion, a autorisé la libération conditionnelle des deux derniers cités après près de 20 mois de détention préventive. Une libération suivie de leur exfiltration vers l’Angola, hors de tout cadre explicite, légal et réglementaire.
Cette nouvelle offensive judiciaire intervient moins d’un mois après qu’Ali Bongo a été entendu, le 1er juillet 2025, par deux juges d’instruction français et les plaintes déposées par Sylvia Bongo Valentin et son fils Noureddin Bongo, dans lesquelles ils dénoncent les tortures, privation, simulation de noyade et violation de leurs droits humains, dans l’objectif de leur soutirer les aveux et céder leurs biens.
Cette audition faisait suite à une plainte déposée par ses avocats pour séquestration et maltraitance, visant directement le régime militaire en place depuis le coup d’État du 30 août 2023. Le président déchu y dénonce notamment les conditions indignes de sa détention, les restrictions de liberté imposées à sa famille et le gel partiel de ses biens. La réplique d’Oligui Nguema semble donc s’inscrire dans une logique de contre-attaque juridique et diplomatique.
Mais à Libreville comme ailleurs, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le timing et les motivations réelles de cette démarche. Pourquoi attendre leur départ du territoire pour initier cette procédure ? Pourquoi n’avoir pas exploité les vingt mois de détention pour diligenter une enquête sérieuse ou engager des poursuites concrètes quand on a reconnu en mondovision avoir des preuves ?
Pour de nombreux analystes, cette plainte tardive donne à voir les paradoxes et les incohérences d’un régime qui oscille entre hésitation et fébrilité, entre trahison et reniement. Certains y voient même une crainte sous-jacente de révélations gênantes pouvant venir d’Ali Bongo ou de son entourage, notamment à l’étranger, où ils jouissent encore de certains réseaux d’influence.
Sur le fond, la procédure repose officiellement sur des accusations de corruption et de détournement de fonds publics à grande échelle. Toutefois, cette ligne d’attaque pourrait bien être un pari risqué, voire suicidaire. Car au-delà des Bongo, c’est tout un système de gouvernance qui se retrouve sous le feu des projecteurs, un système dont plusieurs membres sont encore actifs aujourd’hui dans les cercles proches du pouvoir d’Oligui Nguema. En initiant une chasse aux sorcières à rebours, le président gabonais prend le risque de dévoiler les liens toxiques et la continuité entre l’ancien et le nouveau régime.
Certains y voient aussi une opération de diversion politique, au moment où l’agenda post-transition semble de plus en plus brouillé et contesté. En relançant l’affaire Bongo, le pouvoir pourrait chercher à détourner l’attention de ses propres faiblesses : un dialogue national qui n’a convaincu qu’à moitié, une réforme institutionnelle bancale, des tensions sociales croissantes et une légitimité démocratique encore floue après l’élection présidentielle d’avril dernier. La plainte pourrait alors fonctionner comme une manœuvre dilatoire ou de manipulation méthodique de l’opinion publique.
À cela s’ajoute l’hypothèse d’une stratégie d’« inversion procédurale » : en se positionnant comme victime, l’État gabonais tente peut-être de retourner l’attaque judiciaire initiée par les Bongo, afin de neutraliser symboliquement leurs accusations. Cette tactique, qui repose sur la confusion des rôles et l’enchevêtrement des responsabilités, pourrait viser à perturber les juridictions étrangères et à brouiller les lignes de responsabilité politique. Mais elle pourrait aussi être perçue comme une tentative d’intimidation judiciaire, voire une instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
Tout compte fait, la plainte déposée par le président Oligui Nguema contre la famille Bongo, loin d’apporter des réponses claires sur les responsabilités de l’ancien régime, ouvre plutôt un nouveau front d’incertitude. En agissant ainsi après les avoir laissé partir, le régime actuel s’enferme dans une logique contradictoire, oscillant entre règlement de comptes, improvisation juridique et stratégie de diversion. Ce choix révèle davantage les fragilités internes du pouvoir que sa volonté sincère de justice ou de rupture avec le passé.







