
Libreville, le 12 Juillet 2025 – (Dépêches 241). Le paysage politico-judiciaire gabonais est en pleine ébullition depuis quelques jours. En cause: la diffusion de plusieurs fichiers audiovisuels par des activistes de la diaspora gabonaise, mettant en lumière ce qui s’apparente à une manipulation flagrante de l’appareil judiciaire par les autorités de la Transition, dans la foulée du coup d’État du 30 août 2023. Selon ces vidéos, les arrestations et détentions de l’ancienne Première Dame et de son fils auraient été opérées sans véritable fondement juridique, en contradiction totale avec le discours officiel. Pourtant, le régime qui affirmait détenir des preuves « irréfutables » des crimes de ces deux personnalités, notamment en matière de détournements de fonds publics, corruption et falsification de documents d’État, les a tout de même discrètement et insidieusement libérés après 20 mois de détention préventive.
Depuis le samedi 1 juillet dernier, date à laquelle l’ancien Président Ali Bongo Ondimba a été entendu par les juges français, c’est l’agitation dans tous les camps. Gouvernement, société civile pro régime et même la grande muette sortent de leur silence pour défendre le Chef de l’État, Brice Clotaire Oligui Nguema, désormais visé par plusieurs plaintes en France. Le plus surprenant: ces plaintes émanent directement de la famille Bongo récemment libérée et sortie du pays et portent sur des accusations particulièrement graves, telles que la torture, la séquestration prolongée, le viol, la privation et le chantage à la cession de biens. Ces révélations, si elles sont avérées, mettent en lumière une dérive grave du pouvoir, qui semble avoir instrumentalisé la justice à des fins de spoliation politique et économique.
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Depuis que les anciens détenus ont décidé de saisir la justice française, la panique semble gagner les rangs du pouvoir. Chacun y va de sa menace ou de sa tentative de justification, dans un désordre discursif qui renforce le malaise. Le plus troublant reste la diffusion de vidéos d’auditions judiciaires faisant état de pressions exercées sur les magistrats gabonais par le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI). Des pressions visant à obtenir coûte que coûte la condamnation de Sylvia Bongo et de son fils, indépendamment des preuves et du droit. Ces éléments soulignent la possible subordination de la justice au pouvoir Exécutif, dans un pays où l’indépendance des magistrats reste encore un vœu pieux.
Or, à l’annonce de leur arrestation, le régime de Transition avait évoqué une batterie de charges lourdes contre Sylvia et Noureddin Bongo: corruption active, détournements massifs, faux et usage de faux, falsification de la signature du chef de l’État, haute trahison, etc. Des accusations d’une particulière gravité, pour lesquelles les autorités en tête desquelles le Président de la République himself affirmaient avoir des preuves solides. Pourtant, vingt mois plus tard, à la surprise générale et au mépris des attentes populaires en matière de justice et de transparence, les intéressés sont libérés dans la plus grande discrétion, puis exfiltrés vers l’Angola aux côtés de l’ancien Président Ali Bongo. Le silence du Gouvernement, d’une partie de la société civile et de la classe politique était assourdissant. Dès lors, une question s’impose: pourquoi avoir libéré des individus que l’on présentait hier encore comme les principaux fossoyeurs du Gabon ?
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À la lumière des récents événements, tout porte à croire que les accusations brandies au lendemain du coup d’État auraient avant tout servi de prétexte politique. Énoncé plus simplement, l’arrestation des Bongo Valentin aurait surtout servi à légitimer l’acte de force du 30 août, en capitalisant sur le rejet profond de la population à l’égard de l’ancien régime. Le peuple, en quête de justice et de changement, aurait été pris à témoin d’une mise en scène judiciaire qui lui donnait l’illusion d’une purge salutaire. Mais aujourd’hui, la supercherie semble de plus en plus grosse. Les mêmes méthodes opaques, les souffrances persistantes du peuple et l’absence de réformes concrètes alimentent un scepticisme croissant. Le discours gouvernemental, vidé de toute crédibilité, ne suffit plus à masquer les incohérences et les dérives observées dans cette affaire.
Face à ces incohérences, la libération secrète de Sylvia Bongo Valentin et de son fils Noureddin, en dépit des graves accusations portées contre eux par les autorités de la Transition, jette une lumière crue sur les failles de l’appareil judiciaire gabonais et les motivations réelles du coup d’État du 30 août 2023. Plus qu’un acte de justice, leur arrestation semble avoir été un coup de communication politique, destiné à donner une façade morale à une prise de pouvoir militaire. Deux ans plus tard, le masque semble tomber, et avec lui, l’illusion d’une justice transitionnelle. Dans ce contexte, la quête de vérité et de responsabilité devient une exigence citoyenne incontournable pour bâtir un État réellement républicain.