Employabilité: la fonction publique pour les uns, l’entrepreneuriat pour les autres

Le Président de la République discutant avec les membres du Mouvement National des Chômeurs du Gabon (MNCG) et affiliés ©DR

Libreville, le 11  juin 2024 – (Dépêches 241). Comme le régime déchu, le nouveau pouvoir s’emploie à répéter, tel un mantra qui sauvera la jeunesse gabonaise de sa détresse actuelle, que la fonction publique est saturée et que la jeunesse devrait désormais se tourner vers l’entrepreneuriat. Seulement, à la lecture de nombreux faits, on constate qu’il semble s’établir une reproduction des classes au sein de l’administration publique civile et militaire gabonaise, qui veut que les filles, les fils et proches des tenants du pouvoir d’hier et d’aujourd’hui soient intégrés à la fonction publique, nommés ou promus à des hautes fonctions, et les autres jeunes soient orientés vers l’entrepreneuriat, sans véritables mesures d’accompagnement.

Même avec l’arrivée au pouvoir du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), la question de l’employabilité des jeunes diplômés gabonais continue de se poser avec extrême gravité. Comme le régime Bongo-PDG, le nouveau pouvoir s’évertue lui aussi à dire avec insistance que la fonction publique serait arrivée à saturation, et qu’elle ne pourrait donc plus recruter les nombreux jeunes diplômés gabonais, qui devraient aujourd’hui s’atteler à entreprendre.

Si l’argument ne manque pas de pertinence, c’est son implémentation qui peine à être pratique depuis de nombreuses années. Comme sous le régime déchu, les nouveaux tenants du pouvoir à Libreville présentent l’entrepreneuriat comme la panacée au problème de l’employabilité des jeunes diplômés. Sans mesures d’accompagnement à ce jour, il est continuellement demandé à des milliers de jeunes Gabonais d’entreprendre, de créer des activités génératrices de revenus pour leur permettre de gagner dignement leur vie et de s’épanouir socialement.

Mensonges et sentiments d’injustice 

Alors que l’argument d’une fonction publique gabonaise arrivée à saturation est repris mécaniquement par les nouveaux gouvernants, il se donne pourtant à voir une autre réalité: celle de nombreux Départements ministériels en manque criard de personnels. Depuis le début de la Transition, les différents Ministres qui se sont succédés sur le plateau de l’émission Les Grands Dossiers ont unanimement relevé parmi les nombreuses difficultés qu’ils rencontrent, le manque accablant de personnels au sein des ministères qu’ils dirigent. Les cas les plus emblématiques étant les secteurs éducation, santé, culture, communication, affaires sociales où des milliers de postes sont demandés, mais toujours pas fournis à ce jour.

Pire, à côté de ce qui semble être un mensonge, il se développe au sein de l’opinion, particulièrement chez les jeunes demandeurs d’emplois, un sentiment d’injustice sur cette question d’employabilité, car malgré l’acharnement du nouveau pouvoir à vouloir orienter les nombreux jeunes demandeurs d’emplois vers l’entrepreneuriat, l’opinion découvre chaque mois, à chaque Conseil des Ministres, une promotion, une nomination ou une intégration polémique, au parfum de népotisme, clientélisme ou favoritisme.

Aussi, après la nomination de l’époux de Laurence Ndong, Ministre de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement de Transition, comme Directeur Général Adjoint de la SPIN, les populations, ont-elles récemment assisté à celle de madame Nathalie Obone Obiang, l’épouse de Gervais Oniane, au prestigieux poste de Conseiller du Président de la Transition. 

Ensuite, nous avons assisté aux nominations des Immongault. D’abord Sandrine Natacha Magnambah, l’épouse de l’actuel Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, nommée à l’Agence Nationale d’Investigation financière (ANIF) comme Membre Permanent Représentant le Ministère de la Justice, puis le neveu, Lick Kerry Immongault, porté à la tête du service Comptabilité et Règlements de la perception de Moanda, dans le Haut-Ogooué. Aujourd’hui, c’est au tour de Guy Rossatanga-Rignault, Secrétaire Général de la Présidence de la République de s’offrir au discrédit, en étant soupçonné d’avoir travaillé à faire intégrer son fils à la Douane et sa belle-fille aux impôts.

Mise en doute des paroles du Président de la Transition ? 

À la lumière de toutes ces informations, l’opinion, mais encore plus les jeunes demandeurs d’emplois semblent être désabusés et se posent légitimement des questions. Qui sont les jeunes demandeurs d’emplois qui doivent se battre quotidiennement pour entreprendre ou créer des entreprises ? Qui sont les Gabonais qui doivent être intégrés à la fonction publique, être nommés ou promus ? Seuls les enfants avec un parent proche du pouvoir doivent-ils bénéficier des promotions ou des intégrations à titre exceptionnel à la fonction publique supposément saturée? 

Avec l’arrivée au pouvoir des militaires en août 2023, la jeunesse gabonaise était unanime à l’idée que plusieurs pratiques et comportements qui ont longtemps confiné le pays dans l’état de sous-développement actuel qui le caractérise allaient disparaître. Ce sentiment a été renforcé par le discours particulièrement saisissant du Président de la Transition, Chef de l’État, le Général Brice Clotaire Oligui Nguema, qui annonçait d’un air ferme, lors de sa prestation de serment le 4 septembre 2023 la fin des « nominations copains-coquins ».

Ces pratiques tant décriées par les populations dans l’ancien régime, et importées au sein de la Transition aujourd’hui, viennent doucher les espoirs des nombreux jeunes diplômés gabonais qui espéraient voir émerger un Gabon où l’équité, la justice sociale, la transparence et le mérite seraient les unités de mesure à partir desquelles des compatriotes seraient recrutés, promus ou nommés. Des assuétudes qui remettent  significativement en doute la sincérité du CTRI à mettre définitivement un terme aux « nominations copains-coquins », et à mener enfin le pays à l’essor vers la félicité tant attendue par toutes les Gabonaises et tous les Gabonais, sans distinction de classe. 

One Commentaire

  1. Tanguy Allogho

    Vraiment !!! C’est dure d’écouter ici et là que le système PDG continue avec les mêmes pratiques tant décriées en cette période de transition. La question de l’emploi au Gabon reste une grosse épine pour l’Etat. Car pour ma part, il y a d’une part un problème de répartition de richesse qui fait qu’un petit groupe détourne ces biens publics pour leurs intérêts personnels. D’autre part, il y a un manque de volonté politique à créer des emplois pour les Gabonais. Nous chômeurs, nous sommes marginalisés dans notre propre pays. Les nons-gabonais ont presque fort tous les grands marchés au détriment des entreprises locales. Regardons le secteur du transport seulement à lui seul peut réduire le taux de chômage au Gabon. Mais hélas, les 2/3 sont aux mains des non-gabonais et toutes catégories confondues. Les petits commerces et l’agriculture et bien d’autres… Sans être xénophobe, c’est un sujet Burkinabè qui me vend l’oseille pour boire un bouillon de poisson acheté chez une commerçante Béninoise. Comprenons par là que le chômage est provoqué dans le but de rendre le gabonais mendiant chez lui. Moi même, je suis au chômage depuis 2017. Après calcul, cela fait 7 ans. Comme l’échappatoire que l’Etat a trouvé est de dire au gabonais que la fonction publique ne peut pas insérer tout le monde mais qu’on doit entreprendre. En effet, l’entrepreneuriat est le moyen par excellence pour éradiquer le chômage. Mais ce que l’État ignore où est conscient que l’entrepreneuriat est un long processus qui nécessite du temps pour que la population s’imprègne de la question et en même temps, l’État doit mettre des mesures en place pour former des jeunes dans des secteurs qui créent des richesses.
    Comment demander à un chômeur de plus de 35 ans d’entreprendre alors qu’il a un diplôme de planification économique ou en gestion de projet ?
    Le chômeur gabonais ne connait pas les allocations chômages alors qu’elles existent dans certains pays soucieux de sa population.

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